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Créole - kréol - kréyol - kreyòl creole - kriol - krio - krioulo - kiryol


1 L'origine du mot créole

Le terme de créole possède deux étymologies, l'une portugaise (<crioulo), l'autre, espagnole (<criollo), qui viennent du même mot latin criare, signifiant soit «nourrir» soit «élever» ou plus précisément «serviteur nourri dans la maison». Une personne qu'on appelait à l'origine «Créole» désignait d’abord quelqu’un qui avait été «élevé sur place», c’est-à-dire «qui est du pays». Le mot a servi avant tout à désigner l'enfant blanc né et élevé dans les colonies d'outre-mer : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane française, La Réunion, la Louisiane, etc.
Par la suite, le mot créole a été employé pour désigner la population noire — on parlait alors de «Créoles de couleur» — et, par voie de conséquence, la langue de cette population, le créole. Le mot a même été étendu aux animaux et aux objets : les vaches, les poules et le café pouvaient être créoles, à la condition qu'ils proviennent des colonies. Être «créole», c'était donc, avant tout, provenir ou avoir été élevé dans les terres des colonies.
Le mot Créole a longtemps été utilisé en ce sens en Louisiane et l'est encore aujourd'hui lorsqu'on désigne les «Créoles blancs», généralement des membres de riches familles propriétaires de plantations. Ce terme s’opposait à la notion d’«étranger à la culture locale». Dans les Antilles française, on utilise plus généralement le terme béké pour désigner un «Créole blanc».
Quant au mot créole en minuscule, il est employé, avec des connotations diverses, pour désigner une langue mixe qu'on appelle «le créole» et qu'on associe aux parlers des populations noires.

2 La formation des langues créoles

Le créole est un phénomène linguistique d’importance considérable. Un créole se forme au contact des langues pour en former une nouvelle. Tout créole est essentiellement le résultat du mixage de langues différentes. Il existe plusieurs créoles, mais ce sont tous des langues mixtes qui se sont formées aux XVIe et XVIIe siècles à la faveur de la traite des Noirs organisée par les puissances coloniales de l'époque, particulièrement la Grande-Bretagne, la France, le Portugal, l'Espagne, les Pays-Bas et, plus tard, les États-Unis. Mais d'autres pays furent également en cause, dont la Suède et le Danemark.
2.1 Les «sociétés d'habitation»
L’origine de la formation des créoles est relativement simple, bien que, dans ce domaine comme dans d'autres, nous n'ayons pas de réponses absolument sûres. Les créoles ne se sont pas formés dès l'apparition de l'esclavage, mais un peu plus tard, lorsque les plantations se développèrent et firent appel à une main d'œuvre massive. C'est ce que le créoliste Robert Chaudenson (1992) appelle les «sociétés d'habitation», par opposition à ce que deviendront les «sociétés de plantation». On croit que les premiers esclaves, alors encore peu nombreux, durent apprendre, en une année tout au plus, le français, le portugais, l'espagnol, le néerlandais ou l'anglais, selon le cas («sociétés d'habitation»). Voici un témoignage du père Jean Mongin, dans ses Lettres datant de 1679, sur l'apprentissage du français par les Noirs:
Cette facilité [à instruire le Noirs] se prend en partie de la langue qui n'est autre icy que la françoise car, comme elle est ici celle des maîtres, il n'est presque personne parmi tant de différentes nations qui en peu de temps n'en ait appris suffisamment pour nous entendre et pour se faire entendre, sans que le jargon particulier des commerçans y forme aucun obstacle. Je suis bien assuré du moins que les personnes de notre païs pourroient apprendre de force nègres à parler françois.
Il y a eu aussi, à la même époque, le père Jean-Baptiste Labat (1663-1738) qui, dans un ouvrage paru en 1722 (Nouveau voyage aux Isles de l'Amérique), rendit ce témoignage : «Le nègre qu'on m'avait donné était créole, il avait déjà servi d'autres curés, il connaissait le quartier où j'allais, il parlait français, et d'ailleurs j'étais déjà accoûtumé au baragouin ordinaire des nègres.» Cela ne signifie pas que les nègres parlaient créole, mais bel et bien le français. De son côté, le Portugais André Alvarez d'Almada écrivait en 1594 dans Traité succinct sur les rivières de Guinée du Cap-Vert, depuis le Sénégal jusqu'au fleuve Sainte-Anne : «Beaucoup de nègres parlent très bien le français et ont même été en France.» Il y a aussi le témoignage du père Jean Crétien qui, dans une lettre adressée à sa Compagnie (1718-1719), parue dans Lettres d'un missionnaire de la Compagnie de Jésus à un Père de la même Compagnie, affirmait de son côté: 
Comme ceux-ci [les esclaves] ne peuvent apprendre nôtre langue à moins qu'ils ne soient encore jeunes, on les laisse parler un baragouin de françois, un jargon mal arrangé et mal prononcé, pire que celui d'un allemand qui commence à parler nôtre langue. Encore leur faut-il du tems pour se faire entendre. Pour nous autres François, nous n'avons point de peines d'apprendre ce jargon et nous sommes dans moins de rien en état de le parler. De sorte que nos missionnaires des Isles de l'Amérique n'ont point à étudier de langue étrangère. [ ... ] Comme j'ai compris et parlé dans deux ou trois jours le jargon de nos nègres, j'ay d'abord été en état de les connoître par moi-même et d'éprouver ce que je vous en ai dit.
Autrement dit, cette langue que les esclaves apprenaient ne devait pas être rigoureusement identique à celle de la Métropole, car les colons européens eux-mêmes n'employaient pas la langue de la Cour. De plus, il est certain que les Noirs apportèrent d'importantes modifications à la langue de leurs maîtres. Les témoignages de l'époque le confirment ! Sur cet aspect, il conviendrait de citer celui du père Jean Mongin qui écrivait en 1682:
[...] Les nègres ont appris en peu de temps un certain jargon français que les missionnaires savent et avec lequel ils les instruisent, qui est par l'infinitif du verbe, sans jamais le conjuguer, en y ajoutant quelques mots qui font connaître le temps et la personne de qui l'on parle. Par exemple, s'ils veulent dire «Je veux prier Dieu demain», ils diront «Moi prier Dieu demain», «Moi manger hier», «Toi donner manger à moi» et ainsi en toutes choses. [...] Les missionnaires ne trouvent point de moyen plus efficace dans les répréhensions qu'ils font aux nègres, quand ils sont dans le désordre que de les menacer dans leur jargon: «Toi seras traité de même que nègre anglais, sans baptême, sans église, sans sépulture.»
N'oublions pas que la plupart des colons français provenaient des villes du nord et de l'ouest de la France et qu'ils parlaient un français qui n'étaient pas le «français du roy» (prononcé [franswè du rwé]). 
2.2 Les «sociétés de plantation»
Tout a basculé quand les nègres ont dépassé en nombre les Blancs. C'est que le développement rapide de l'économie de plantation bouleversa tout, notamment avec l'importation massive d'esclaves venus de plusieurs régions de l'Afrique; ces Noirs étaient désignés par le terme de «bossales» (provenant de boza signifiant «muselière»). Les nouveaux arrivants se trouvèrent dans l'impossibilité de communiquer entre eux dans leur langue maternelle. D'une part, les règlements en vigueur dans les entrepôts d'embarquement et dans les plantations interdisaient le recours aux langues des Noirs, d'autre part, les «voisins de labeur» parlaient rarement la même langue, car ils provenaient de régions ou d'ethnies différentes.
Les propriétaires des plantations s'organisaient bel et bien pour recevoir des Noirs provenant de régions différentes, afin qu'ils ne soient pas tentés de se regrouper par ethnie. D'ailleurs, les historiens de l'esclavage sont unanimes à ce sujet. Par exemple, dans Le mémorial martiniquais (1980), Jacques Petitjean-Roget rapporte ainsi le témoignage de Richard Ligon (1684): «On s’efforce de mélanger le plus possible ceux [les esclaves] qu’on amène de divers lieux d’Afrique où l’on parle divers langages et, par ce, ils ne s’entendent pas les uns les autres.» De même, Louis Maillard, un ingénieur colonial, écrivait ce qui suit dans un livre intitulé Notes sur l'île de la Réunion (1862):
Le mélange des races et des castes, dans les esclaves de Bourbon [La Réunion], contribua beaucoup à la tranquillité du pays. Les Cafres et les Malgaches étant généralement peu d'accord avec les Indiens et les Malais, et tous ceux-ci étant considérés comme de caste inférieure par les esclaves créoles, il existait, entre eux tous, un antagonisme continuel qui ne permettait guère aux uns de tramer quelque funeste projet, sans qu'ils fussent dénoncés par les autres.
À une époque où la colonie de Saint-Domingue était dans une période d'intense activité de l’agro-industrie sucrière (avec plus de 500 000 esclaves), l'historien des Caraïbes, Jacques de Cauna, rappelle dans Au temps des isles à sucre (1987) qu’un des «grands principes» était de «n’acheter que par petits groupes d’une douzaine, de même ethnie et âge, pour faciliter l’assimilation».  Répétons-le, l'usage des langues africaines était rigoureusement interdit par tous les planteurs. Par ailleurs, plus de 60 % des esclaves avaient moins de 20 ans, ce qui a certainement contribué à l'absence de transmission des patrimoines africains, à la déculturation des Noirs et à leur acculturation linguistique.
2.3 Passer outre à la «Babel linguistique»
Devenus rapidement plus nombreux que les Blancs, les esclaves bossales durent utiliser en partie la langue des maîtres, mais ils n'y avaient qu'un accès déformé et limité. Les stratégies linguistiques d'apprentissage n'avaient plus pour langue-cible celle des Blancs (français, anglais, portugais, etc.), comme lors de la période précédente, mais des variétés approximatives de français, d'anglais ou de portugais. Les bossales n'apprenaient que des mots européens transmis par des ordres donnés par des Blancs ou des esclaves arrivés les premiers (les «Créoles») auxquels les colons avaient délégué certaines responsabilités, comme celle de socialiser les nouveaux venus. En fait, les langues créoles résultent des stratégies d'appropriation mises en place par les esclaves «bossales» («nés en Afrique») à partir des langues européennes parlées de façon approximative par les esclaves créoles («nés au pays»).
Bien qu'ils n'aient pas été en mesure d’apprendre la langue des maîtres blancs (négriers ou planteurs), les esclaves s’appropriaient en général les mots et les sons de ceux-ci tout en recourant à la grammaire et aux notions qu'ils connaissaient dans leurs diverses langues d'origine. Lentement, d'approximations en interprétations, les stratégies d'appropriations transformèrent la langue de base, la langue orale des Blancs, qui subit de tels changements qu'elle se transforma en une autre, autonome, devenant alors un créole. Ainsi, ce sont les «esclaves bossales» qui auraient créé les langues créoles, en tentant de se réapproprier les variétés linguistiques imprécises énoncées par les «esclaves créoles», beaucoup plus proches de leurs maîtres blancs. Par ailleurs, le cas de l'île de Saint-Barthélemy (Antilles) constitue un cas à part, car ce sont des Blancs qui ont transformé leur langue française en créole.
Les créoles sont donc dérivés à la fois des langues des maîtres et des langues africaines (en général) parlés par les travailleurs asservis. On ne peut pas dire que seul le lexique est européen, et que seule la grammaire est africaine. C'est un phénomène plus complexe dans la mesure où il y a eu des mélanges et des simplifications à la fois entre une langue européenne et une ou plusieurs langues africaines, que ce soit dans la phonétique, la morphologie, la syntaxe ou le lexique.
2.4 Les langues créoles
Les créoles sont donc des langues, au sens linguistique du terme: ils servent à la communication au même titre que le français, l'anglais ou le portugais, tout en ne partageant pas le même prestige. Nous trouvons surtout des créoles à base française, anglaise, portugaise, néerlandaise et espagnole (plus rare). Lors d'un recensement effectué en 1977, Ian Hancock, docteur en linguistique à l'Université du Texas, dénombrerait 127 créoles différents dans le monde, dont les suivants:
35 à base d'anglais
15 à base de français
14 à base de portugais
7 à base d'espagnol
5 à base de néerlandais
3 à base d'italien
6 à base d'allemand
1 à base de slave
6 à base amérindienne
21 à base africaine
10 à base non indo-européenne (asiatique)
Il existe aussi quelques créoles à plusieurs «bases linguistiques». Le cas le plus connu est celui du papiamento en usage dans les Antilles néerlandaises, surtout dans les îles d’Aruba, de Bonaire et de Curaço, au nord du Venezuela. En effet, ce créole parlé par environ 320 000 locuteurs a comme base première le portugais, mais à laquelle s'ajoutent du néerlandais et de l’espagnol, ainsi qu’un peu d’anglais et de français.
Bref, du point de vue linguistique, les créoles sont des langues à part entière, dont la structure grammaticale est proche de celle des langues africaines et dont le lexique est en très grande majorité d'origine européenne, mais non exclusivement puisqu'ils subsiste un certain nombre de mots africains, selon les créoles donnés; en papiamento, il existe aussi des influences amérindiennes (arawak). Cependant, le statut des langues créoles dans le monde est généralement infériorisé au plan social, culturel et politique, sous prétexte qu'elles sont le résultat d'un «mélange». Pourtant, le français, l'anglais, le portugais, etc., sont également le résultat de mélanges anciens. Le français est une langue romane issue du latin mélangé avec des influences gauloises et surtout franciques; l'anglais est le résultat d'un mélange de l'ancien germanique, du latin, du normand et du français.

3 Répartition géographique

Les langues créoles se répartissent dans de nombreuses parties du monde, à l'exception de l'Europe où il n'en existe qu'un seul : le yanito de Gibraltar, appelé aussi spanglish, une langue mixte issue de l'espagnol andalou et de l'anglais.
Carte des créoles
3.1 Les créoles des Antilles
La population créolophone la plus importante se trouve aux Antilles et dans les Guyanes: Anguilla, Antigua, les Antilles néerlandaises (Aruba, Bonaire et Curaçao), les Bahamas, la Barbade, le Belize, la Grenade, la Jamaïque, Haïti, la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy, la Dominique, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès (Kitts-et-Nevis), Saint-Vincent-et-les-Grenadines, la Trinité-et-Tobago, le Surinam, la Guyana et la Guyane française. Il ne faudrait pas oublier non plus le créole brésilien (à base de portugais). On peut visualiser également un carte plus précise des créoles dans les Petites Antilles en cliquant ICI, s.v.p.
3.2 Les créoles d'Afrique
Un second groupe de créolophones est situé en Afrique: les îles du Cap-Vert, la Guinée-Bissau, la Sierra Leone, les îles Saõ Tomé-et-Principe, mais aussi au Cameroun, en République centrafricaine, puis dans l’océan Indien, soit aux Comores, aux Seychelles, à l’île Maurice (et l'île Rodrigues) et à l’île de La Réunion. En français, les créoles de l'Afrique sont parfois appelés «pitinègue» (petit-nègre).
3.3 Les créoles du Sud-Est asiatique et du Pacifique
Le troisième groupe est localisé en Asie du Sud-Est et en Océanie: les Philippines, Singapour, la Papouasie- Nouvelle-Guinée, le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie (le tayo de Saint-Louis). Dans un grand nombre de cas, les créolophones correspondent à de petites communautés de quelques milliers de personnes chacune, parfois de quelques centaines.
Les pays où l’on compte le plus de locuteurs sont Haïti (plus de huit millions) et l’île Maurice (plus d'un million).
3.4 L'insularité et la formation des créoles
La plupart des créolistes n'ont pu s'empêcher de constater que les créoles se sont élaborés dans des lieux géographiques particuliers, surtout dans les îles, mais aussi sur les bord d'un littoral (Sierra Leone, Cameroun, Guinée-Bissau, Surinam, les Guyanes, etc.), le cas plus particulier étant le sango en République centrafricaine, sur les bords de l'Oubangui, un affluent du fleuve Congo, au cœur de l'Afrique.  Le linguiste Ulrich Fleischmann (cité par Chaudenson, 1998), de l'Université libre de Berlin, a déjà souligné ce lien entre les îles et le créole:
Si on passe en revue tous les cas historiques de cultures créoles, il est facile de constater que l'insularité favorise la créolisation; pourtant, il est difficile de démontrer, en se référant à des cas concrets, quelle est la relation entre ces différentes dimensions sociales, l'implantation de certaines formes d'exploitation économique et finalement l'éclosion de ces changements culturels qu'on appelle créolisation.
Au plan statistique, il est indéniable que la plupart des créoles actuels sont insulaires. Cependant, il faut mentionner que plusieurs créoles sont également en usage dans des zones littorales (les Guyanes, le Surinam, le Cameroun, la Guinée-Bissau, Gibraltar, etc.). Par ailleurs, de nombreux créoles originaires de zones littorales sont disparus au cours de l'histoire, notamment les anciens comptoirs portugais et hollandais, pour ne mentionner que ceux-là.

4 Les créoles français

Les créoles français se sont développés dans les anciennes colonies françaises des Antilles, de la Guyane et de l'océan Indien. On compte environ dix millions de locuteurs des créoles français. C'est le groupe numérique le plus important des créolophones dans le monde entier.
Dans les Antilles, mentionnons d'abord Haïti (sept millions de locuteurs), puis la Martinique (380 000), la Guadeloupe (425 000), Saint-Barthélemy (1000), Sainte-Lucie (112 000), la Dominique (57 000).
En Amérique du Sud, il faut relever le créole de la Guyane française ainsi que le lanc-patuá, parlé à la fois au Brésil et en Guyane française, même si ce créole est aussi influencé par le portugais. Au Brésil, le lanc-patuá est appelé «Langue Patóis francês» et les linguistes le qualifie de «crioulo Luso-Francês», c'est-à-dire de «créole luso-français».
Mentionnons une langue unique encore parlée au Canada: le mitchif (écrit michif en anglais), bien que ce ne soit pas un créole, tout en demeurant une langue mixte utilisée par les Métis du Manitoba: cette langue est issue du français et du cri, et elle est parlée par environ 650 locuteurs. Il est possible de trouver quelques individus au Dakota du Nord (Turtle Mountain) et au Minnesota (White Earth). Voir la page consacrée sur cette langue en cliquant ICI, s.v.p.
Dans l'océan Indien, les créole français sont parlés aux îles Seychelles (70 000), à l'île de la Réunion (600 000), à l'île Maurice (un million) et sa dépendance, l'île Rodrigues (37 000). Ces trois créoles tirent leur origine de ce qu'on appelle le «créole bourbonnais», le tronc commun des créoles français parlés dans l'océan Indien, ce qui inclut le créole chagossien des îles Chagos. Le créole bourbonnais a d'abord été parlé à La Réunion (alors appelée «île Bourbon»), puis il s'est propagé sur l'île Maurice et, de là, sur l'île Rodrigues et l'archipel des Seychelles. En raison des distances et de l'insularité de ces créoles, ceux-ci se sont progressivement différenciés. Les différences se sont ensuite amplifiées avec la colonisation anglaise qui a touché Maurice, Rodrigues et les Seychelles.
En Océanie, il ne subsiste que le tayo comme créole français, une langue parlée par moins de 2000 locuteurs à Saint-Louis (près de Nouméa) en Nouvelle-Calédonie. Cette langue tayo, appelée localement «patois», est apparue plus tardivement que le autres créoles (Antilles et océan Indien).
Aujourd’hui, on distingue le créole martiniquais, le créole guadeloupéen, le créole de Saint-Barth, le créole haïtien (anciennement Saint-Domingue), le créole dominicain, le créole saint-lucien, le créole réunionnais, le créole guyanais, le créole seychellois, le créole mauricien, etc.
L’intercompréhension entre les créoles français est réputée relativement aisée, mais tel n'est pas toujours le cas. Il s'agit là bien souvent d'une erreur d'appréciation qui proviendrait de la comparaison des documents écrits des divers créoles. Comme les graphies sont étymologisantes, elles peuvent donner l'impression trompeuse que les créoles sont similaires. Or, pour Robert Chaudenson (2003), tel n'est pas le cas, car l'intercompréhension entre les créoles des Antilles et ceux de l'océan Indien est très réduite:
Toutes les expériences valides scientifiquement que j'ai conduites avec des créolophones unilingues ont prouvé qu'entre les parles des deux zones (Antilles et océan Indien) l'intercompréhension est extrêmement réduite, pour ne pas dire nulle; bien plus, au sein de la même zone, Haïtiens et Martiniquais créolophones unilingues, par exemple, ont une intercompréhension très réduite comme de l'autre côté, dans l'océan Indien, Réunionnais et Mauriciens du même niveau socioculturel.
Lorsque deux créolophones unilingues, d'origine géographique proche, communiquent entre eux, il reste que l’accent, l’intonation, un nombre plus ou moins important de termes inconnus, de même que certains éléments grammaticaux et des tournures syntaxiques, peuvent entraver la compréhension, surtout lorsque les créolophones sont moins instruits. Néanmoins, même si l'intercompréhension entre les créoles des Antilles et les créoles de l'océan Indien est très limitée, ces langues présentent des traits communs si originaux et si spécifiques qu'on ne peut douter d'une origine commune: la langue coloniale des XVIIe et XVIIIe siècles. Évidemment, un créolophone à base de français voit sa marge de compréhension rétrécir considérablement s’il parle à un créolophone à base d’anglais; la compréhension risque de se limiter à des messages extrêmement simples. D'ailleurs, un Britannique ne comprend pas le yanito de Gibraltar, pourtant à base d'anglais et d'andalou. 
Il faut aussi retenir que le français qui a servi à élaborer les créoles n'était pas celui de la Cour, c'est-à-dire celui qu'on appellerait aujourd'hui le «français standard». Il s'agissait plutôt d'un français populaire parlé par les colons de l'époque ou par les planteurs. Or, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, plus de 60 % des Français qui sont venus s'établir dans les Antilles (Martinique, Guadeloupe, Haïti, etc.) provenaient des provinces de Normandie, de Bretagne, de Saintonge et de l'Île-de-France. Dans l'océan Indien (Réunion, Maurice, Rodrigues, Seychelles), plus de 70 % des Français sont originaires des provinces suivantes: Normandie, Bretagne, Île-de-France, Orléanais, Anjou, Saintonge, Aunis, Poitou, Picardie. Ces données semblent similaires au peuplement des colons du Canada à la même époque: plus de 80 % des colons français provenaient de la Normandie, de l'Île-de-France, de la Bretagne, du Poitou, de l'Aunis, de la Saintonge et de l'Anjou. Il résulte donc que la plupart des colons français qui se sont lancés dans l'aventure coloniale venaient des régions du nord et de l'ouest de la France, c'est-à-dire dans une ligne qui s'étendait du nord de Paris jusqu'à Bordeaux, une zone où l'on faisait usage des langues d'oïl. Cela signifie que les créoles français ont comme base un français populaire et oral, très éloigné du français standard de l'époque, celui de la Cour!
Si les colons français venaient à peu près des même régions de France et étaient issus des mêmes catégories sociales, les esclaves des Antilles et ceux de l'océan Indien étaient d'origines différentes. Dans ce qu'on appelle la région américano-caraïbe (incluant les Guyanes), ils provenaient de l'Afrique occidentale, alors que ceux de l'océan Indien ont été introduits à partir de Madagascar, de l'Inde et de l'Afrique de l'Est. 

5 Les créoles anglais

Les créoles anglais sont relativement nombreux que les créole français, mais ils sont parlés par moins de locuteurs (cinq millions): on les trouve principalement aux Antilles , dans les Guyanes (incluant le Surinam), en Afrique et dans le Pacifique.
En effet, les créoles à base d'anglais existent d'abord dans les anciennes colonies britanniques des Antilles telles que Anguilla, Antigua, les Bahamas, le Bélize, la Grenade, la Jamaïque, Montserrat, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent, la Trinité-et-Tobago, les îles Vierges britanniques, les îles Vierges américaines, sans oublier la Guyana et le Surinam.  Il faut ajouter également les créoles parlées par les Noirs marrons de la Guyane française qui sont tous à base d’anglais, que ce soit l’aluku, le boni, le njuka ou le saramacca. Le terme de taki-taki, appelé aussi «bushi-nengé tongo» ou langue des «hommes des bois», est souvent utilisé pour désigner les langues bushinenguées. En Colombie, il existe deux créoles à base d'anglais: le «créole colombien» appelé aussi créole anglo-jamaïcain (en raison de l'origine de ce groupe) parlé par quelque 230 000 locuteurs, ainsi que le créole de San Andrés parlé par environ 24 000 locuteurs dans des îles éloignées de la Colombie et situées au large des côtes du Nicaragua et du Costa Rica (îles San Andrés, Providencia et Santa Catalina). 
En Amérique centrale, au Belize, il existe aussi un créole appelé le Bileez Kriol, la langue la plus parlée dans le pays, si l’on tient compte de ceux qui le parlent comme langue maternelle (env. 24 %) et comme langue seconde (env. 46 %), ce qui donne 70 % de la population au total. Il existe aussi de créoles au Costa Rica (le mekatelyu), au Nicaragua (le ''Mískito Creole English'') et au Honduras (le ''Mískito Creole English'').
Dans le Pacifique, mentionnons d'abord le bichlamar (<bislama : «Bêche-la-mar»), un créole anglais devenu la langue nationale du Vanuatu. Soulignons aussi le pidgin English d'Hawaï appelé le Hawaiian Creole English, parlé par au moins 600 000 locuteurs dans l'archipel; ce pidgin est employé depuis environ un siècle comme langue véhiculaire afin de communiquer avec les autres ethnies. En Australie, plus de 10 000 locuteurs aborigènes parlent le créole australien (''Australian Kriol'') connu aussi comme le ''Roper River Creole''. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, de nombreux Papous parlent le tok pisin: bien qu’il soit employé comme langue maternelle par quelque 50 000 locuteurs, c’est avant tout comme langue seconde et langue véhiculaire que le tok pisin est en usage dans ce pays pour un total de près de deux millions de personnes (environ 45 % de la population). On ne saurait passer sous silence le pitcairnais de l'île Pitcairn, une sorte de créole anglo-tahitien parlé par quelques dizaines de locuteurs, et le norfuk de l'île Norfolk (Australie), un dérivé du même créole précédent (quelques dizaines de locuteurs).
En Afrique, les créoles les plus importants sont le kreyol du Liberia, le krio de la Sierra Leone, le Cameroonian Creole («créole camerounais») du Cameroun et le Nigerian Pidgin English du Nigeria, appelé aussi le Nigerian Pidgin. En Guinée équatoriale (espagnole), quelque 4000 d’Équato-Guinéens de l'île de Bioko parlent le krio ou fernandino, un créole à base d’anglais utilisé comme langue seconde.
Les créoles anglais comptent certainement plus de cinq millions de locuteurs, mais beaucoup de ces créoles sont parlés dans des micro-États (Anguilla, Antigua, îles Vierges, etc.) peu peuplés. Les créolophones anglais les plus nombreux se retrouvent en Jamaïque (2,5 millions) et au Surinam (400 000); le créole anglo-antillais parlé à Anguilla, la Barbade, Trinité-et-Tobago, Montserrat, Saint-Christophe-et-Niévès, les îles Vierges américaines, les îles Vierges britanniques, etc., comptent au total quelque 350 000 locuteurs. Comme pour les créoles français, les créoles anglais ne bénéficient d’aucun statut officiel. Ces créoles ont généralement été influencés par l'anglais des classes populaires de l'époque. L'intercompréhension n'est pas facile pour un anglophone unilingue, pour ne pas dire nulle. Entre créolophones, l'intercompréhension est plus aisée, dans la mesure où les distances géographiques ne sont pas trop grandes.

6 Les créoles portugais

Les créoles portugais sont parlés dans les anciennes colonies portugaises (Brésil, Cap-Vert et Guinée-Bissau), mais aussi dans d'autres colonies concurrentes comme dans les Antilles néerlandaises. Le créole le plus connu est le papiamento parlé dans les anciennes Antilles néerlandaises par quelque 319 000 locuteurs: Aruba, Bonaire, Curaçao et Surinam. L’origine portugaise du papiamento dans les anciennes colonies hollandaises s’explique par le fait que des centaines de milliers des Noirs attendaient parfois durant de longues semaines dans les ports africains détenus par les négriers portugais avant d’être envoyés dans les colonies du Nouveau Monde; c'est ce qui expliquerait la création du créole à base de portugais.
Le papiamento présente de nombreuses similitudes avec le krioulo, le créole portugais que l'on parle toujours en Afrique occidentale, notamment dans les îles du Cap-Vert (434 000), au São-Tomé-et-Príncipe (175 000) et en Guinée-Bissau (1,6 million), mais aussi au Sénégal (46 000) et en Gambie (15 000). En Guinée équatoriale (espagnole), quelque 9000 locuteurs des îles de Bioko et d’Annobón parlent aussi le crioulo (ou krioulo) à base de portugais.
D'autres créoles à base de portugais sont également parlé à Cafundo dans l'État de Rio de Janeiro (Brésil), à Korlai près de Bombay (Inde), à Macanese (Hong-Kong), à Kristang (à Melaka en Malaisie) et à Ternateno (île Maluku en Indonésie) et au Sri Lanka (avec l’indo-portugais). Le total des locuteurs des créoles portugais dépasse à peine le million. 

7 Les créoles espagnols

Les créole à base d'espagnol ne sont guère nombreux, car les politiques d'hispanisation furent très tôt une préoccupation de la part des Espagnols, contrairement aux politiques coloniales anglaises ou françaises. Mentionnons le chabacano (ou chavacano) parlé aux Philippines par 292 000 locuteurs (1990), le palenquero (ou palenque) en Colombie (2500 locuteurs) ainsi que le yanito de Gibraltar, une langue mixte issue de l'andalou et de l'anglais, et utilisée comme langue véhiculaire par les 31 000 habitants du territoire (sauf pour les Britanniques). Bref, on compte environ 325 000 locuteurs d'un créole espagnol.

8 Les créoles néerlandais

Les créoles à base de néerlandais sont pratiquement tous éteints, sauf le papiamento des Antilles néerlandaises. En effet, seuls le petjoh (ou pecok) et le javindo de l'Indonésie sont encore parlés aujourd'hui, mais on ignore le nombre de leurs locuteurs. Tous les autres créoles sont quasi éteints (quelques locuteurs actifs) ou complètement disparus: le berbice et le skepi de la Guyana, le negerhollands (éteint) de Saint-Thomas dans les îles Vierges américaines, le Jersey Dutch (éteint) et l'Albany Dutch (éteint) des États-Unis

9 Le statut officiel des créoles

Parmi les rares États où l'on a reconnu officiellement un créole dans un texte constitutionnel, mentionnons Haïti (8,3 millions) avec le français au même titre que le créole (du moins juridiquement); l'archipel des Seychelles (80 000 habitants) avec l'anglais, le français et le créole comme langues co-officielles; le Vanuatu en Mélanésie (229 000 habitants), qui a reconnu son créole mélanésien, le bichlamar, comme sa «langue officielle parlée», avec l’anglais et le français. Toutefois, il ne faut pas se faire trop d'illusion, car la reconnaissance officielle du créole par un État ne supprime pas nécessairement les préjugés dévalorisants.
Par ailleurs, le gouvernement des Antilles néerlandaises et celui d’Aruba projettent de présenter une loi qui ferait du papiamento et de l’anglais des langues officielles au même titre que le néerlandais. Le projet de loi n’a pas pas encore été adopté, mais les Antilles néerlandaises bénéficieraient ainsi de trois langues officielles. À l’instar du Vanuatu, le papiamento des Antilles néerlandaises deviendrait probablement la «langue officielle parlée».
Peu de créoles sont écrits, même lorsqu’ils bénéficient d’un statut de co-officialité comme en Haïti; quoi qu’il en soit, les créoles écrits sont submergés par la langue coloniale. Néanmoins, beaucoup d'associations de défense du créole prennent la relève des anciens conteurs oraux, afin de le retranscrire par écrit et lui donner un caractère d'identité propre. Dans certains créoles, il existe des grammaires, des dictionnaires et une littérature.
Dernière révision: 14 déc. 2009
 

Bibliographie

CALVET, Louis-Jean et Robert CHAUDENSON. Saint-barthélemy: une énigme linguistique, Paris, CIRELFA, Agence de la Francophonie, 1998, 165 p.
CHAUDENSON, Robert. Des îles, des hommes, des langues, Paris, L'Harmattan, 1992, 309 p.
CHAUDENSON, Robert. La créolisation, théorie, applications, implications, Paris, Éditions L'Harmattan, 2003.
CHAUDENSON, Robert. «Les créoles à base française» dans Les langues de France, Paris, PUF, sous la direction de Bernard Cerquiglini, p. 257-268.
BICKERTON, Derek. Language and Species, Chicago, University of Chicago Press, 1990.
LASSAGNE, François. «Créole, la naissance d'une langue» dans Science et Vie, Paris, no 227, hors série juin 2004, p. 78-85.
MANESSY, Gabriel. Créoles, pidgins, variétés véhiculaires, Paris, Éditions CNRS, 1995.
YACOUB, Joseph. «Les minorités en Amérique latine et aux Caraïbes» dans Les minorités dans le monde, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 781-805. 
 

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