L'illettrisme en Guadeloupe : un mal à endiguer
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- Publié le jeudi 11 octobre 2012 22:52
2013 fera de l’illettrisme la grande cause nationale et interpellera la Guadeloupe dont le seuil alarmant de 20% de la population est touchée selon les derniers chiffres de l’Insee (2009). Pour rappel, l’illettrisme concerne les personnes qui, ayant appris à lire et à écrire, ont oublié par manque de pratique, tandis que l’analphabétisme
désigne les personnes n’ayant jamais appris ni à lire, ni à écrire. En
Guadeloupe, la paupérisation financière et culturelle de la population
amplifie ce phénomène que l’on retrouve particulièrement dans les
milieux défavorisés et ruraux.
Champ d’action des enseignants limité
À l’âge de 16 ans en Guadeloupe comme sur le territoire national, les adolescents sont censés avoir appris et maîtrisé les bases de la lecture et de l’écriture. Or, en 2012 l’illettrisme est avéré chez bon nombre d’entre eux lorsqu’ils quittent le circuit scolaire, révélant qu’ils étaient préalablement en grande difficulté, voire en situation d’échec. Paradoxalement, si les adultes peuvent cacher leur trouble au quotidien en usant d’artifices, le corps enseignant reconnaît très tôt, dès la maternelle ou le cours préparatoire, les élèves en difficulté (dyslexiques, lents, etc.), qui font état de trouble du comportement cumulé avec des problèmes de concentration. Pour autant, le rôle des enseignants se restreint à l’enceinte de l’école. Ils repèrent, orientent, conseillent les parents. Toutefois, sans réaction de leur part, les lacunes s’accumulent jusqu’à la sortie de l’élève du système scolaire sans aucune maîtrise des bases de la lecture.
L’avis d’une orthophoniste
Johanna David, orthophoniste depuis 10 ans en Guadeloupe, estime que des efforts ont été consentis en matière de diagnostic des pathologies des troubles de l’apprentissage. Les enfants sont systématiquement repérés et des solutions leur sont proposées telles que des séances chez l’orthophoniste remboursées par la sécurité sociale ou des placements dans des classes spécialisées CLIS (Classe en inclusion scolaire) dans lesquelles ils bénéficient de l’aide d’une équipe de professionnels. En revanche, si ces réseaux d’aide existent, des problèmes logistiques à l’instar du manque ou de la cherté des transports, des horaires inadaptés à ceux des parents, peuvent empêcher les enfants de se rendre à leur séance planifiée sur une année scolaire, voire plus. Parfois, certains parents retirent précocement leur(s) enfant(s) avec des conséquences dommageables sur les mécanismes d’apprentissage. D’autre part, les dispositifs des CLIS peu nombreux, rendent les places rares, donc l’accès limité. Outre les enseignants et les orthophonistes, les bibliothécaires jouent un rôle important de prévention.
Les actions sur le terrain
Bibliothécaire depuis plus de 20 ans, Sylvana Artis, mène de front la prévention contre l’illettrisme. Elle est d’avis que dès la petite enfance, les parents ont intérêt à lire des histoires à leur(s) enfant(s) ou à leur en faire écouter. Il n’y a pas si longtemps témoigne-t-elle, les grands-mères guadeloupéennes tenaient ce rôle ô combien capital, d’éveil à l’imaginaire, de soif d’évasion, de compréhension des paradigmes d’un récit de fiction, de construction de soi à travers des personnages animaliers ou mythiques.
Sans se substituer au rôle du parent ou de l’enseignant, explique la portée du bibliothécaire, parfois chaînon indispensable à la connaissance. Ses missions sont distinctes et complémentaires de celles de l’enseignant dans le sens où les actions menées conjointement avec les établissements scolaires, plus particulièrement les conseillers pédagogiques, visent à donner envie de lire à l’enfant ou l’adolescent. Pour exemple, Allez on lit ! est une action mise en place depuis 2011, qui consiste à apporter une valise pleine de livres sélectionnés soigneusement au préalable et mise à disposition sous forme de prêt aux enseignants des classes préparatoires, qui les font circuler dans leur classe. Sylvana Artis est convaincue qu’il faut agir très tôt et s’emploie sur le terrain à sensibiliser les parents à la pratique de la lecture des tout-petits. Plus tôt, ce public est stimulé et plus naturel sera son désir de lire.
Dans la même lignée, pour Béa Bazile, directrice de la bibliothèque départementale, la compétition déséquilibrée fait rage contre ce qu’elle qualifie de génération zapping, ces enfants figés devant des programmes de télévision et séries qu’ils ingurgitent à tour de bras, quelquefois avec le consentement de parents démissionnaires, impuissants, non conscients de l’importance du temps exclusif à consacrer aux devoirs de leur(s)enfant (s). L’absence de certains parents trouve une autre explication dans la gestion accablante du quotidien ou dans l’idée qu’ils ne sont pas sensibilisés à la nocivité de ces programmes. Béa Bazile a longtemps mené une action en complémentarité avec les centres formation où était repéré ce public en difficulté. Malheureusement, depuis dix ans dans l’archipel, les centres de formation ferment l’un après l’autre faute de subvention, sans pour autant que l’illettrisme ne régresse.
Proximité d’une bibliothèque
Sur le terrain, les professionnels constatent un manque d’infrastructures beaucoup plus prononcé en milieu rural qu’en milieu urbain avec des moyens ténus et répartis inégalement sur le territoire. C’est d’ailleurs ce à quoi la bibliothèque départementale tente de pallier en assurant une présence notamment dans les milieux ruraux souvent dépourvus, puisque cette insuffisance constitue un facteur aggravant du désintérêt pour le livre.
En effet, grandir avec une bibliothèque à
moins de 10 minutes de son lieu de résidence dotée d’horaires
d’ouverture adaptés aux heures libres de l’enfant peut systématiser chez
lui le goût à la lecture, et développer simultanément son autonomie
vis-à-vis de l’acquisition du savoir. Sous un autre abord, c’est
l’achalandage des bibliothèques en ouvrages récents, sélectionnés avec
soin, faisant écho aux interrogations des enfants, qui pose problème
avec des écarts considérables d’une commune à l’autre.
Que faut-il en déduire ? Certainement
que les budgets consacrés à la lecture restent en deçà des besoins sur
le terrain et qu’une politique de la lecture réussit, passera par une
rallonge de cette enveloppe, ce qui pour les professionnels ne sera pas
un vain investissement.
Un système bien rodé ?
En dépit d’un système bien rodé aux dires de certains professionnels qui, de concert travaillent à enrayer l’illettrisme, comment expliquer que tous fassent le constat de son augmentation ?
L’orthophoniste neuropsychiatre, Katia Galbas estime que la mère peut à la fois être la source et la solution du problème de l’illettrisme. Contrairement à l’analphabétisme où les personnes ne sont pas à proprement parlé en situation d’échec puisqu’elles n’ont pas fréquenté d’établissement scolaire — les mères pouvaient tout de même assurer l’éducation et le suivi scolaire de leurs enfants — l’illettrisme, renvoie souvent à un parent singulièrement la mère, qui a été en situation d’échec scolaire et se retrouve incapable d’apporter de l’aide à son enfant à cause de cette souffrance. Elle provoque par mimétisme le rejet de l’enfant pour l’école. Une mère illettrée ne dispose ni d’une méthodologie de travail efficiente, ni d’outils pédagogiques, voire psychologiques suffisants. Qui plus est, elle peut être sujette à l’intimidation par les professeurs de son enfant lesquels, la replonge indirectement dans ses vieux démons.
Un système bien rodé ?
En dépit d’un système bien rodé aux dires de certains professionnels qui, de concert travaillent à enrayer l’illettrisme, comment expliquer que tous fassent le constat de son augmentation ?
L’orthophoniste neuropsychiatre, Katia Galbas estime que la mère peut à la fois être la source et la solution du problème de l’illettrisme. Contrairement à l’analphabétisme où les personnes ne sont pas à proprement parlé en situation d’échec puisqu’elles n’ont pas fréquenté d’établissement scolaire — les mères pouvaient tout de même assurer l’éducation et le suivi scolaire de leurs enfants — l’illettrisme, renvoie souvent à un parent singulièrement la mère, qui a été en situation d’échec scolaire et se retrouve incapable d’apporter de l’aide à son enfant à cause de cette souffrance. Elle provoque par mimétisme le rejet de l’enfant pour l’école. Une mère illettrée ne dispose ni d’une méthodologie de travail efficiente, ni d’outils pédagogiques, voire psychologiques suffisants. Qui plus est, elle peut être sujette à l’intimidation par les professeurs de son enfant lesquels, la replonge indirectement dans ses vieux démons.
En somme, la lutte contre l’illettrisme peut passer par la restauration de la confiance du parent illettré et d’une double démarche d’apprentissage des enfants et de leurs parents puisque bien souvent, ces derniers trouvent des parades pour masquer leur trouble, mais en souffrent terriblement car incapables de faire sens aux pancartes, aux formulaires, aux consignes, aux menus, etc. L’illettrisme prend des proportions particulièrement élevées chez certaines communautés non francophones vivant en Guadeloupe.
Note d’espoir
Rappelons que sauf pathologie spécifique, tous les enfants sont en mesure d’apprendre les bases de la lecture et de l’écriture. Parmi les quelques raisons identifiées de la progression de l’illettrisme, on note un appauvrissement de la culture générale, une relégation du livre, un manque d’infrastructures, de nouveaux canaux de divertissement à l’instar du petit écran, des consoles de jeux, une diminution du temps consacré à l’enfant, tâche que le corps enseignant ne peut à lui tout seul assurer.
Toutes les personnes qui font de la prévention ou de la lutte contre l’illettrisme souhaiteraient que ce fléau soit pris en compte de façon beaucoup plus rigoureuse par les élus afin que leurs actions soient financées à hauteur des besoins et soutenues sur une longue durée.
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