Les nouvelles formes de discrimination contre les Afro-Colombiens
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Par : José Eulicer Mosquera RenteríaPlusieurs personnes ont été étonnées par la déclaration du Président Juan Manuel Santos affirmant que si aucun afro ne faisait partie de son cabinet, c’est parce qu’on ne pouvait arriver à ce poste qu’en le méritant. Mais en réalité, ce genre de déclarations et de comportements ne devraient étonner personne puisque les faits historiques ont prouvé que les classes dominantes colombiennes et latino-américaines ont hérité de la mentalité colonialiste, raciste et discriminatoire de leurs ancêtres colonialistes européens, mentalité qu’ils perpétuent de génération en génération. C’est un des effets du néocolonialisme des eurocentristes qui s’est instauré depuis les « indépendances » et l’apparition des républiques, et plus particulièrement à cause du système éducatif dominant qui lui aussi est eurocentriste, individualiste et à caractère capitaliste.
Pendant les guerres pour l’indépendance, de nombreuses voix du commandement des armées patriotiques se firent entendre (composé de dirigeants représentants les intérêts des classes dominantes créoles naissantes) qui considéraient comme nécessaire de placer en première ligne de combats et comme bouclier pour les autres patriotes et combattants, les Afros venus rejoindre les rangs de ces armées afin de « réduire leur nombre inquiétant grâce à la guerre ».
Au début de l’époque républicaine, simultanément, tous les mandataires, dirigeants des nouvelles républiques et représentants des nouvelles classes dominantes créoles ont jugé nécessaire de se débarrasser des Africains et de leurs descendants, les ramenant sur les côtes africaines et les zones américaines inhabitées pour les y abandonner, probablement pour éviter de reproduire ce qui s’était passé à Haïti, où les « Noirs » avaient pris le pouvoir. Autrement dit, après avoir contribué à la construction de ces nouveaux pays par leur travail et leurs apports culturels et patriotiques, ils ne méritaient pas un endroit pour y vivre mais plutôt de faire l’objet d’un génocide.
Ces classes dominantes, en plus d’avoir conservé une mentalité fasciste vis-à-vis des Afros et des autochtones, renouvèlent et modernisent leurs formes de racisme et de discrimination envers ces mêmes personnes et ce, selon le moment ou la conjoncture historique, en les enveloppant de certaines subtilités afin qu’elles soient acceptées passivement par ces peuples et qu’elles paraissent justes, ouvertes et démocratiques devant l’opinion mondiale. Dans le cas de la Colombie, il faut se rappeler qu’au moment de l’application de la loi pour l’abolition de l’esclavage, les gouvernements républicains obligèrent les Africains et leurs descendants à s’en aller vers les territoires les plus inhospitaliers, les mains vides, tandis que les esclavagistes qui les avaient pillés pendant près de quatre siècles étaient rémunérés pour chaque esclave qui restait en « liberté ». Et pendant ce temps‑là, ils pouvaient continuer à profiter des territoires administrés par les esclaves, ainsi que des propriétés, des exploitations agricoles, des mines, des infrastructures et de tout le patrimoine bâti par ces mêmes esclaves ou par leurs ainés morts sous l’esclavagisme colonial.
Les nouveaux territoires occupés par les Afros et les villes, construites à l’intérieur de ceux-ci, n’ont jamais été inclus de manière juste et équitable dans les plans de développement nationaux et régionaux. Et si certaines ressources leur étaient allouées, elles étaient marginales, et dans de nombreux cas, elles ont même fait l’objet de la corruption et du pillage des membres des classes dirigeantes nationales et régionales en lien avec les politiciens locaux.
Luis Lopez de Mesa, qui a été plusieurs fois ministre de l’Education en Colombie entre les années 1930 et 1970, a affirmé que la seule façon de parvenir à une certaine évolution dans les régions, comme par exemple « El Choco » ou « El Pacifico », était de provoquer le métissage de ses résidents avec des blancs créoles ou des étrangers. Selon ce même raisonnement, entre les années 1930 et 1940, et grâce aux moyens de transport de l’Armée et de l’Armada nationale, de nombreuses familles paysannes modestes ont été emmenées à l’intérieur du pays pour être installées dans le bassin du fleuve Baudo, Bahia Solano, Nuqui et Jurado, le Choco, ainsi que sur les côtes pacifiques des régions de Nariño, Cauca et Valle. Néanmoins, pour la majorité d’entre eux, la rigueur du climat et de l’environnement les a forcés à retourner rapidement à leur lieu d’origine.
Cependant, cette mesure avait un objectif qui allait bien au-delà : contribuer à la baisse de la pression des luttes paysannes pour la terre, très vive à l’intérieur du pays à cette époque‑là. En se basant sur de tels raisonnements fascistes, comme celui de Lopez de Mesa par exemple, l’octroi de nombreuses concessions et de licences pour des entreprises étrangères a été justifié, et ce, dans le but de mener à bien l’extraction des ressources naturelles et la surexploitation de la main d’œuvre nationale dans les territoires ancestraux afro-colombiens.
Actuellement, sur le plan national et dans les départements comme Antioquia, les administrateurs publics n’agissent plus sauf pour inventer des arguments pour discréditer et ne pas reconnaître les organisations sociales afro-colombiennes soutenues par la Loi 70 de 1993 au moment où elles présentent des propositions sérieuses pour attirer l’attention sur les problématiques de leurs communautés et ce, en leur faisant des propositions qui peuvent seulement être exécutées par de grandes entreprises capitalistes et des corporations créées par d’autres personnes, s’exposant ainsi à des positions corrompues et en violant la constitution et la loi.
La réponse de la majorité des gouvernements face aux réclamations des communautés afro-colombiennes a été raciste, répressive, démagogique et offensive en affirmant que « les Noirs représentent un stigmate et un obstacle pour le développement de la société » et qu’ils « vivent dans la pauvreté et comme des arriérés à cause de leur nature paresseuse, débauchée et immorale » de plus, au lieu de continuer à déranger avec des grèves et des manifestations pour réclamer plus de services publics etc… ce qu’ils doivent faire, c’est continuer à récupérer leur eau avec leur seau ou d’autres récipients des pluies, des fleuves et des ruisseaux ou satisfaire leurs besoins physiologiques, et autres obscénités, dans n’importe quel lieu de leurs vastes territoires. Dans certains cas, les protestations, les manifestations et autres grèves, toujours lancées de manière pacifistes par ces communautés, ont été réprimées brutalement par les forces de police, et l’issue a été souvent tragique.
Tous les Afro-Colombien(ne)s qui ont occupé une fonction haut placée au sein de l’État en Colombie, ont été nommés, non pas par mérite, mais par un besoin urgent du gouvernement, dans une certaine conjoncture historique, où le ou la fonctionnaire est appelé(e) à faire face à une situation difficile et délicate et garantir une issue favorable à court terme pour ces mêmes classes dominantes. Sans aller chercher bien loin, si Manuel Mosquera Garcés et Adam Arriga ont été nommés au Ministère de l’Éducation et du Travail entre les années 1940 et 1950, c’est parce que les oligarchies conservatrices et libérales ne savaient pas comment contrôler certains mouvements ouvriers et étudiants en ébullition et fortement motivés par l’influence des révolutions socialistes de l’époque. Ces tâches difficiles ont ainsi été déléguées à ces deux illustres Afro-Colombiens. Mais à la même époque, ils ont dû se convertir en inconditionnels et même en membres de la Loge Maçonnique de ces oligarchies, cette même loge qui décide qui peut occuper une fonction haut placée de l’État et qui peut continuer à exister dans le pays. Si Nazly Lozano Aljure, de la municipalité de Condoto, a été nommée ministre de la Justice, c’est parce qu’elle travaillait déjà comme fonctionnaire au sein de ce même ministère et que les trafiquants de drogue venaient d’assassiner l’ancien ministre Lara Bonilla, qui avait osé proposer une loi d’extradition des trafiquants vers les États-Unis. Sans oublier que tout le monde craignait d’occuper ce ministère. La nouvelle ministre a dû alors signer les premières extraditions et s’est vite retrouvée en exil elle aussi pendant un long moment. De plus, tout le monde sait que Paula Moreno, ministre de la Culture, a été la dernière personne afro-colombienne nommée au sein d’un ministère car le gouvernement d’Alvaro Uribe avait besoin de gagner le soutien des parlementaires afro-américains pour l’approbation du TLC de la Colombie contre les États-Unis. Cependant, certains Afro-Colombiens et Afro-Colombiennes arrivistes et naïfs ont considéré cette situation comme acquise et que, dès lors, les gouvernements suivants garantiraient la présence d’Afro-Colombiens au sein de leurs cabinets. Il suffisait d’obtenir une recommandation d’un des chefs politiques de l’entourage présidentiel pour atteindre ce but. C’est que le capitalisme par nature est colonialiste, raciste et discriminatoire et Juan Manuel Santos est un représentant du capitalisme international et en particulier des États-Unis. Par conséquent, il ne faut pas s’étonner de son attitude envers les Afros, ni d’essayer de faire passer la pilule par ses «mérites». A ce stade de l’histoire de notre pays, qui va croire le président Juan Manuel Santos affirmant qu’aucun Afro n’a les qualités nécessaires pour occuper un ministère en Colombie ou pour faire partie d’un cabinet national à n’importe quel niveau ? Je suis sûr que personne n’y croit.
Le président Santos, tout comme Uribe Velez, a commencé à faire des visites ponctuelles dans les départements de Choco (Buenaventura) et de Cauca pour déclarer à leurs habitants qu’il aimait beaucoup les « Noirs » et qu’il leur porterait une grande attention ainsi que des investissements. Uribe Velez lui, n’a même pas réalisé l’aménagement de la route Medellin-Quibdo, qui était d’une grande importance non seulement pour le département de Choco mais aussi pour son propre département d’Antioquia. En effet, grâce à cette route, Uribe a contrôlé d’une manière colonialiste le marché du département de Choco, tel un marché captif pour ses propres industries, et il a extrait de ce même département d’immenses richesses. Et malgré le fait que les Chocoanos avaient récupéré cet argent pour la route grâce à d’importantes grèves bien avant qu’Uribe ne devienne président, lui et son ministre des Transports, Andrés Uriel Gallego, ont consacré leur temps à diviser ces ressources pour créer des contrats pour les Nules et autres escrocs de leur entourage pour qu’ils fassent un semblant de travaux sur cette route avant de finalement tout leur voler. Au jour d’aujourd’hui, Santos n’a rien fait d’important non plus pour les communautés afro-colombiennes et leurs territoires. Aucune tentative pour faire sortir ces communautés de leur extrême pauvreté et de leur marginalité historique. Il ne les a même pas considérées comme dignes d’être représentées par un de ses ministres ou vice-ministres.
Ce dont les communautés afro-colombiennes ont expressément besoin, c’est de l’exécution du Plan de Développement intégral et différentiel, ordonné par la Constitution Nationale depuis 1991, la Loi 70 de 1993, soutenue par la convention n°16 de 1989 des Nations Unies, la Loi 21 de 1991, grâce à laquelle la Colombie assume cette convention, et les autres lois. Ce Plan de Développement est beaucoup plus important pour la population afro que l’occupation d’un poste au sein d’un ministère par une personne afro-colombienne puisque de nombreux « Obamas » peuvent arriver aux postes et aux pouvoirs les plus importants, et même enchaîner les mandats. Cependant, tant que la mentalité de ces « Obamas » reste pro-impérialiste et néolibérale, et tant qu’ils arrivent à de telles positions seulement pour réaliser les plans, les programmes et les projets des classes dominantes, nos peuples continueront à aller de mal en pis, comme c’est déjà le cas pour les Afro-Américains. Dès lors, assumer avec sérieux ce défi d’exécuter le Plan de Développement Intégral pour les communautés afro-colombiennes serait le meilleur exemple d’un représentant du gouvernement qui a réussi à surmonter la mentalité raciste et discriminatoire héritée de ses ancêtres ibériques colonialistes.
Mais malheureusement, les représentants du gouvernement et administrateurs publics de Colombie inventent seulement des stratégies pour contourner les dispositions constitutionnelles et légales qui favorisent les populations afro-colombiennes et aborigènes, les transformant ainsi en une fin de non recevoir. De nos jours, tout un processus s’est créé pour supprimer et/ou contourner la Loi 70 de 1993, appelée aussi Loi des Communautés Afro-colombiennes, et ses décrets réglementaires face auquel le peuple afro-colombien n’a pas d’autres choix que de répondre par des actions de masse et d’exigibilité de leurs droits. En réitérant qu’il est impossible de faire des progrès vers une paix réelle et durable dans notre pays sans tout d’abord faire de la justice sociale une justice efficace.
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