Enquête
L'impuissance masculine, c'est fini !
LE MONDE 2 | 21.08.09 | 15h03 • Mis à jour le 21.08.09 | 15h03
'angoisse de la panne virile, passagère ou chronique, hante l'homme depuis toujours. Elle est désormais sans objet : entre médicaments érectiles, psychothérapies et prothèses, il est possible de rendre leur tonus aux plus affaiblis. Enquête au tréfonds de la physiologie et de la psychologie masculines.
1 - Où l'on apprend combien l'homme craint depuis toujours de "manquer de voix" La panne sexuelle et l'impuissance tourmentent l'homme depuis toujours. Des plaquettes gravées vieilles de 3 700 ans, trouvées dans le temple de la déesse Ishtar de Babylone, en Mésopotamie, contiennent des incantations à la virilité : "Que le vent souffle, que frémisse la futaie ! Que ma puissance s'écoule comme l'eau de la rivière, que mon pénis soit bandé comme la corde d'une harpe." Dans le Satiricon, écrit sous Néron, le poète Pétrone décrit la "honte" d'Encolpe quand son désir "trahit" la jeune Circé. "Indignée ", celle-ci revient avec une magicienne qui passe un fil coloré autour du défaillant, s'écriant : "O Priape, aide-nous de toute ta puissance !" Le dieu Priape, affublé d'un phallus toujours en érection, nous le connaissons : le terme médical "priapisme" vient de lui. Seulement, nous n'avons plus besoin de l'invoquer pour conjurer une panne sexuelle. Aujourd'hui, à écouter les médecins spécialistes de la sexualité masculine, qu'ils soient psychiatres, urologues, andrologues ou sexologues, toutes les faiblesses viriles ou presque peuvent être soignées. L'antique malédiction des hommes est levée. Nous disposons désormais d'une palette de traitements permettant de soigner presque toutes ses formes, fussent-elles chroniques. L'éjaculation précoce se guérit. Même un paraplégique se soigne. Nous ne mourrons plus, comme dit l'argot, au cul de la princesse.
"C'est un moment historique. Il faut comprendre qu'entre les pannes occasionnelles, les défaillances répétées d'origine psychologique, les impuissances associées à des maladies graves comme le diabète ou le cancer, ou encore attribuées aux fatigues de l'âge, beaucoup d'hommes vivaient et vivent encore dans la peur de la perte de leur vie sexuelle. Or, jusqu'à récemment, il n'existait aucun véritable traitement, aucun aphrodisiaque assuré. Beaucoup d'hommes essayaient des produits douteux ou dangereux." Volubile, enthousiaste, Philippe Brenot raconte le changement d'époque. Ce psychiatre, auteur d'une des rares études sur l'histoire de l'impuissance (Impuissance masculine, L'esprit du temps, 1994), vient de publier avec le paléoanthropologue Pascal Picq un ouvrage consacré aux différences entre la sexualité primate et humaine (Le Sexe, l'Homme et l'Evolution, Odile Jacob, 2009). Il est un des animateurs de l'Association inter hospitalo-universitaire de sexologie (AIHUS), qui regroupe cinq cents sexologues, médecins et non-médecins. Elle tenait en mars dernier des assises consacrées au "couple et sa sexualité" où l'on a beaucoup parlé du traitement des "dysfonctionnements érectiles". Philippe Brenot : "Aujourd'hui, les médecins ne parlent plus d'impuissance. C'est un terme vague, inquiétant, qui ne rend pas compte de la diversité des affections de la virilité. Traiter quelqu'un d'“impuissant” signifie qu'“il n'est plus un homme”, plus un être à part entière. C'est une injure, comme “frigide” pour les femmes. Nous préférons parler de “troubles érectiles”, aux causes variées, réclamant chacun des traitements appropriés."
Il faut comprendre que beaucoup d'hommes affectés de pannes sexuelles ne sont pas des impuissants chroniques pour autant. En vieillissant par exemple, la plupart connaissent un allongement du temps de latence entre deux érections. A 25 ans, ce sera quelques minutes. Une demi-heure après 35. Une heure après 45. Une journée après 55. Plusieurs jours après 65. Une semaine après 70 ans. Si, passé la quarantaine, certains s'inquiètent de ne plus se redresser aussitôt, s'ils dépriment devant leur mollesse passagère, ils risquent de développer un blocage psychologique et finissent par se croire impuissants. Mais non, ils vieillissent. Philippe Brenot : "L'érection, ce n'est pas tout ou rien, pas toujours une performance. Ils ne devraient pas s'angoisser autant, car un homme est équipé pour faire l'amour jusqu'à 80 ans et plus. Un vieil homme en forme, désirant, bande encore. Les personnes âgées cessent leur activité sexuelle à cause des maladies, le cœur, les artères, le diabète, le surpoids, pas à cause de leur âge. Or aujourd'hui, même un vieil homme fatigué peut bander s'il est bien traité."
D'autres encore vont se croire impuissants parce qu'ils n'ont pas fait l'amour pendant longtemps et éprouvent des difficultés à recommencer. En fait, disent les médecins, leur faiblesse provient avant tout du manque d'activité. En effet, nous le savons aujourd'hui, une verge fléchit quand elle ne sert pas. Le manque d'entraînement lui est néfaste, elle perd en vigueur. C'est le " syndrome du veuf ", très courant au siècle dernier. Après deux ans d'inactivité, le malheureux éprouve une grande difficulté à bander. Ce n'est pas un manque de désir, mais une affaire de "capacité érectile". Philippe Brenot : "Il y a encore trente ans, un tel homme consultait en vain un psychanalyste ou un psychiatre. Aujourd'hui, avec un accompagnement psychologique et un médicament érectile, il fait l'amour. Les affections sexuelles, de l'impuissance aux “obsessions”, ont été psychiatrisées au XXe siècle. L'impuissance était toujours considérée comme un blocage psychogène. Ce faisant, la dimension physiologique de l'érection a été négligée. Tout a changé dans les années 1960."
2 - Où un chirurgien découvre les vertus érectiles de l'opium
Que se passe-t-il dans les années 1960-1970 ? La guerre du Vietnam. Beaucoup de jeunes soldats américains reviennent au pays paraplégiques, impuissants. Il faut soigner ces héros blessés, souvent mariés. Nous sommes dans les décennies de la révolution des mœurs, les recherches sur la sexualité s'en trouvent libérées. Des médecins, des physiologistes expérimentent des nouveaux traitements. Les résultats restent mitigés. Mais, pour la première fois au XXe siècle, les problèmes d'érection échappent aux psychiatres. L'intérêt se déplace du psychique au physique, du mental au génital. Dans les années 1970, des milliers d'accidentés de la route, des motocyclistes en particulier, se pressent dans les hôpitaux. Des hommes jeunes souvent. Les médecins cherchent à leur rendre leur virilité. Peu à peu, une médecine spécialisée du pénis se met en place autour des urologues : l'andrologie (de andros, homme en grec), l'équivalent masculin de la gynécologie.
En 1980, tout s'accélère avec l'extraordinaire découverte faite par un chirurgien vasculaire, Ronald Virag. Voici l'histoire. Il tentait de soigner un "solide Normand" de 48 ans qui faisait flanelle depuis cinq ans. Tabagique, un taux de cholestérol élevé, peu de sang arrivait dans son membre. Le médecin lui pratique un pontage entre une petite artère abdominale et sa verge, espérant en augmenter le débit sanguin. Mais comme l'artère se contracte, il injecte de la papavérine, un alcaloïde extrait de l'opium, pour dilater les vaisseaux. Aussitôt l'homme entre en érection. Inquiet, Virag ralentit le débit du sang, mais le sexe de son patient reste dressé. Plus de deux heures. Que se passe-t-il ? Laissons Ronald Virag, qui exerce toujours à Paris et a publié depuis un ample ouvrage grand public sur la physiologie du "truc" (Le Sexe de l'homme, Livre de Poche), raconter la suite : "Je me suis demandé si ce n'était pas le produit lui-même qui déclenchait une érection réflexe, et non le sang. Je décidais de m'injecter de la papavérine dans la verge à l'aide d'une fine aiguille, pour vérifier. J'ai connu aussitôt une forte érection. La papavérine agit directement sur le pénis."
Quand en 1982 Ronald Virag publie ses résultats dans le Lancet, l'hebdomadaire médical britannique ("Intracavernous injection of papaverine for erectile failure", The Lancet, 23 octobre 1982), une véritable révolution s'ensuit dans nos conceptions scientifiques sur le fonctionnement du pénis, la sexualité masculine et la manière de traiter les troubles érectiles. L'expérience étant reproductible, des dizaines d'équipes médicales se mettent au travail pour comprendre les mécanismes intimes de l'érection. Ronald Virag se rappelle : "Grâce à ces recherches, nous avons compris le rôle essentiel des muscles lisses, comment le pénis fonctionne sur un mode automatique, comme les autres organes, indépendamment du cerveau supérieur, sous la dépendance d'une biochimie spécifique. Une page était tournée." En effet, si une simple injection "intracaverneuse" d'un produit aussi répandu que l'extrait d'opium suffit à déclencher une érection durable, beaucoup d'hommes considérés comme des impuissants psychogènes incurables, mais encore des diabétiques, des accidentés, des paraplégiques peuvent bander à nouveau. Autre avantage décisif : ils peuvent se traiter eux-mêmes, sans l'aide d'un médecin, et reprendre confiance.
Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'impuissance est vaincue, et de plus les pannes chroniques ou occasionnelles peuvent être traitées. Dans le même temps, une seconde révolution commence, pharmacologique. Grâce aux recherches souvent financées par les grands groupes pharmaceutiques, de nouvelles molécules ciblant la biochimie du pénis sont expérimentées. Un médicament simple, moins inquiétant qu'un produit à injecter, est cherché comme un nouveau Graal – et une nouvelle mine d'or. Au début des années 1990, tout à fait par hasard, le laboratoire pharmaceutique Pfizer découvre les propriétés érectiles inattendues d'un anti-angineux, le sildenafil. En 1998, après des années d'expérimentation, Pfizer met sur le marché le Viagra, le premier médicament oral efficace, sans effet secondaire notable, contre beaucoup de cas d'impuissance et de pannes sexuelles. Il connaît bientôt une demande et une gloire planétaires.
3 - Où l'on pénètre à l'intérieur d'un pénis
Difficile de comprendre pourquoi les hommes débandent, pourquoi l'opium et le Viagra agissent, sans s'intéresser à la physiologie du pénis. Trois cylindres oblongs forment l'intérieur. Dessous, un fuseau élastique, le corps spongieux ; au-dessus, les deux corps caverneux, tous trois riches en capillaires. Ces corps sont constitués d'un muscle lisse, échappant au contrôle conscient, proches de ceux couvrant nos intestins ou l'utérus des femmes. Composés de centaines de milliers d'alvéoles, à la façon d'une éponge, ils sont irrigués par l'"aorte honteuse" (souvenir de l'anatomie du XVIe siècle, sous surveillance de l'Eglise). Ces trois fuseaux extensibles sont enveloppés d'une fibre épaisse d'un bon millimètre, presque ligneuse et multicouche, appelée l'albuginée – du latin albus, blanc– et fait le sexe dur. Au bout de cette tuyère gonflable, la couronne du petit prince, le gland, prolongation du corps spongieux. Cet embout de chair présente une peau fine et diaphane, quadrillée d'un réseau serré, exceptionnel, de nerfs émotifs que chaque homme bénit.
Cette grande éponge s'emplit de sang grâce à un ingénieux système d'écluses vasculaires, gouverné autant par les sensations que par la subjectivité. Quand aucun désir sexuel ne trouble l'homme, le sang n'y entre pas. Un canal de dérivation lui fait éviter l'artère honteuse. Le sang n'irrigue alors que l'enveloppe externe du pénis. C'est l'état chiffe. Flaccide. Comment vient l'érection ? Sa quasi-instantanéité cache l'extrême complexité d'une chorégraphie capricieuse. Tous les physiologistes le disent : anatomiquement, un homme est fabriqué pour bander tout le temps. Cependant, cet homme travaille, dort, mange, marche… Dans ces moments, sa verge pend. Elle n'est pas passive, elle est rétractée. Le système nerveux sympathique qui contrôle ses viscères, ses bronches ou sa vessie, la tient contractée. Mais pas tout seul. "Le mâle humain, explique Marc Galiano, urologue-andrologue de l'Institut Montsouris, est un bandeur inhibé par son système sympathique, mais aussi par son cerveau conscient." Un bébé, par exemple, fait pipi au lit, se masturbe beaucoup, s'abandonne aux plaisirs sans retenue, comme un jeune chien. Le cerveau conscient n'intervient pas. Bientôt ses parents lui apprennent le contrôle de son pénis, la bienséance sociale. Ils lui enseignent à se servir de son néo-cortex. A contenir ses pulsions. C'est, dit Freud, l'éducation du surmoi.
Que se passe-t-il quand le cerveau conscient suspend sa surveillance, suite à une caresse par exemple ? Emus, les nerfs dorsaux de la verge, cheminant dans le périnée, vont activer les centres nerveux de la moelle épinière. Marc Galiano explique la suite : "De là, les influx nerveux chargés d'informations agréables préviennent le cerveau limbique – ou primitif, émotionnel. C'est lui qui déclenche l'érection, sans passer par la conscience. C'est tout l'avantage des “apéritifs amoureux” et des préliminaires." Dans ces moments, le système nerveux dit "parasympathique" envoie des informations qui décrispent la verge contractée. Il lève l'inhibition. A cet instant, la paroi interne des capillaires du pénis libère du monoxyde d'azote, un composé chimique bien connu pour ses propriétés vasodilatatrices. L'éponge pénienne s'allonge aussitôt, son accordéon intérieur s'étire et le sang pénètre les alvéoles des corps érectiles qui se dilatent, faisant gonfler la verge. Ce faisant, les alvéoles gonflées écrasent les veines contre la paroi du pénis, bloquant toute fuite sanguine. La pression augmente dans la verge, ce qui lui donne sa belle rigidité. L'homme bande. Il est en voix.
C'est en inhibant la production de l'enzyme qui dégrade le monoxyde d'azote et provoque la contraction du pénis que le sildenafil ou Viagra – tout comme ses successeurs le Cialis et le Levitra – déclenche sa dilatation. Attention, ne rêvons pas. Une belle érection est fragile et capricieuse, même médicamenteuse. Le désir doit agir. Les hommes ne sont pas des robots. Une parole déplacée, une odeur rédhibitoire, un souvenir dérangeant, un je-ne-sais-quoi, l'érection se défait. Elle est indécidable. Elle s'amorce et s'arrête sans passer par la volonté. Elle est spontanée. Cette irrémédiable toquade de l'érection explique beaucoup des blocages, pannes ou affolements qu'éprouvent certains hommes devant l'exigence d'être ardent. Quand une femme leur intime de les aimer alors qu'ils ne sont pas inspirés, c'est comme si elle criait à un timide : "Ne sois pas peureux !" C'est une sollicitation impossible, un ordre inexécutable, une prière toujours inexaucée. L'homme bande toujours un peu par hasard, dans une certaine ambiance, en liberté.
4 - Où l'on apprend combien la femme reste le grand aphrodisiaque
"J'ai un patient, un homme marié, qui a perdu toute confiance en lui en trois semaines. Un soir une maîtresse d'occasion lui dit : “C'est extraordinaire comme j'ai éprouvé du plaisir avec toi. Pourtant mon mari a un plus gros sexe que le tien.” Cela a suffi. Il n'a entendu que la deuxième partie de la phrase. Il est venu me consulter pour des pannes répétées. Il avait perdu confiance en lui, il y pensait en faisant l'amour, débandait et ensuite craignait que cela ne se répète. C'était le cercle vicieux." Le docteur Marie Chevret-Méasson exerce à Lyon. Psychiatre, spécialiste de l'infertilité, elle a suivi une formation en sexologie et psychosomatique en hôpital. Sans rien dévoiler de ses patients, elle raconte beaucoup d'histoires similaires où des hommes s'enferment dans une spirale de l'échec. "Cela arrive aux plus anxieux. Passé 50 ans, beaucoup d'hommes s'angoissent de ne plus être performants. Pas seulement au lit. Au travail. Face à la concurrence des jeunes, ou même de leurs enfants. C'est l'histoire du père que son fils dépasse au ski. Il arrête le ski. Nous sommes dans une société de compétition, cruelle, qui licencie les seniors. Tout dépend des représentations que chacun se fait de l'âge, s'il accepte de vieillir. Les femmes connaissent les mêmes peurs."
Les femmes jouent un rôle décisif, pour la plupart des hommes, dans ces histoires d'impuissance. Sous Viagra, sans désir, un homme ne bande pas. Les femmes restent le grand aphrodisiaque, comme la source d'angoisse majeure. Nombre des réactions masculines dépendent de la manière dont elles jugent "l'oreille basse". Si beaucoup réagissent avec compréhension, d'autres peuvent la regretter, ou se plaindre. Alors l'homme se sent mal. Aujourd'hui, de nombreuses femmes sont indépendantes financièrement, gagnent parfois plus que les hommes, les concurrencent au travail, imposent de partager les tâches domestiques. Au lit, elles entendent prendre du plaisir, épanouir leur sexualité et parfois, constatent les médecins, développent elles aussi une forme de culte de la performance. Elles veulent que leur vie sexuelle soit réussie, parfaite. Ou encore, désormais libres, elles disent : "J'attends d'avoir envie", ou "Je n'ai pas à me forcer". L'homme doit s'y plier. Or un homme n'est pas toujours prêt, inspiré, au moment désiré. Face à ces fortes femmes, beaucoup d'hommes sont déstabilisés – c'est devenu un cliché d'époque, bien analysé par le sociologue Daniel Welzer-Lang (Nous, les mecs. Essai sur le trouble actuel des hommes, Payot, 2009). Cela se répercute jusque dans les figures de l'érotisme masculin, ses "cartes affectives" comme les appelle le psychologue américain John Money (Lovemaps. Fantasmes sexuels, "cartes" affectives et perversions, Petite bibliothèque Payot, 2009).
Fondés en partie sur l'imagerie de la domination de femmes accueillantes, les grands archétypes du désir mâle se troublent. Alors les hommes débandent. En retour, paradoxe d'époque, les femmes le leur reprochent : comme le constatait Elisabeth Badinter dans Fausse route (Odile Jacob, 2003), un certain archaïsme des rôles, un certain masochisme fait aussi partie du désir sexuel féminin (du moment qu'il se cantonne au lit, dit-elle). Marie Chevret-Méasson : "Toutes ces frictions du désir suscitent des malaises, des débandades. Nous les traitons désormais assez bien en associant une thérapie conjugale avec les médicaments érectiles. Il est important que le couple réfléchisse sur lui-même, sur les désirs de chacun, les réticences. La pénétration n'est pas une fin en soi. Bien souvent, les troubles sexuels viennent d'un manque d'imagination érotique, ou même de sens du jeu. La sexualité est une forme de théâtre, de mise en scène fantasmatique, qui suffit bien souvent à faire monter le désir, quel que soit l'âge."
Aujourd'hui, tous les médecins le disent, nous disposons d'une boîte à outils, tant pharmacologique que psychothérapeutique, permettant de guérir à peu près toutes les défaillances viriles. Certaines résistent malgré tout. Pour les impuissants psychogènes rétifs à tout traitement, de nouvelles prothèses en silicone existent, que le chirurgien glisse sous la peau de la verge, entre les corps caverneux, tandis qu'il loge une petite pompe dans les testicules. J'ai rencontré un homme équipé de ce dispositif. Il s'en trouve satisfait. D'une part, l'objet est invisible. Ensuite, il est facile d'usage. Il permet de faire l'amour longtemps. N'altère aucune sensation. Seul inconvénient, disait-il, sa partenaire ressent la prothèse quand elle lui fait une fellation.
Donnée d'époque, beaucoup de médecins constatent l'influence grandissante du porno dans les troubles sexuels et érectiles des adolescents. Si le cinéma X peut aider un adulte à fantasmer, retrouver les archétypes qui l'enthousiasment, il sert bien souvent d'éducation sexuelle aux garçons de 10 à 18 ans, comme le montre l'enquête récente d'une journaliste de Marie-Claire (Ados : la fin de l'innocence, Géraldine Levasseur, Max Milo, 2009). Pour commencer, le sexe imposant des "hardeurs" traumatise nombre d'entre eux. Ils pensent qu'un tel mandrin donne la norme de la taille. Résultat, les adolescents font des complexes, croient être sous-équipés et ne bandent plus. Beaucoup d'hommes jeunes consultent des andrologues après avoir vu un film porno et demandent à se faire agrandir ou épaissir le sexe. Le pilonnage sexuel des films impressionne aussi beaucoup ces jeunes, qui se croient nuls s'ils ne tambourinent pas leurs copines. Quant aux actrices toutes soumises, rampant aux pieds des hommes, se jetant sur leur pénis, se faisant prendre par plusieurs athlètes bodybuildés en même temps, ils s'étonnent de n'en rencontrer aucune parmi leurs petites amies. La réalité les désillusionne. Alors ils s'accrochent au porno. Et débandent dans la vie. Laissons l'andrologue Marc Galiano, de l'Institut Montsouris, conclure : "Aujourd'hui, après la vague féministe, beaucoup de femmes ne savent plus jouer les courtisanes, donner du plaisir, faire bander les hommes. Quant aux hommes, ils ignorent l'univers de la volupté, des caresses, du tantrisme, savoir se retenir. Certains tombent dans le porno. Il ne suffit pas de leur donner des pilules, il faudrait reprendre toute l'éducation érotique."
"C'est un moment historique. Il faut comprendre qu'entre les pannes occasionnelles, les défaillances répétées d'origine psychologique, les impuissances associées à des maladies graves comme le diabète ou le cancer, ou encore attribuées aux fatigues de l'âge, beaucoup d'hommes vivaient et vivent encore dans la peur de la perte de leur vie sexuelle. Or, jusqu'à récemment, il n'existait aucun véritable traitement, aucun aphrodisiaque assuré. Beaucoup d'hommes essayaient des produits douteux ou dangereux." Volubile, enthousiaste, Philippe Brenot raconte le changement d'époque. Ce psychiatre, auteur d'une des rares études sur l'histoire de l'impuissance (Impuissance masculine, L'esprit du temps, 1994), vient de publier avec le paléoanthropologue Pascal Picq un ouvrage consacré aux différences entre la sexualité primate et humaine (Le Sexe, l'Homme et l'Evolution, Odile Jacob, 2009). Il est un des animateurs de l'Association inter hospitalo-universitaire de sexologie (AIHUS), qui regroupe cinq cents sexologues, médecins et non-médecins. Elle tenait en mars dernier des assises consacrées au "couple et sa sexualité" où l'on a beaucoup parlé du traitement des "dysfonctionnements érectiles". Philippe Brenot : "Aujourd'hui, les médecins ne parlent plus d'impuissance. C'est un terme vague, inquiétant, qui ne rend pas compte de la diversité des affections de la virilité. Traiter quelqu'un d'“impuissant” signifie qu'“il n'est plus un homme”, plus un être à part entière. C'est une injure, comme “frigide” pour les femmes. Nous préférons parler de “troubles érectiles”, aux causes variées, réclamant chacun des traitements appropriés."
Il faut comprendre que beaucoup d'hommes affectés de pannes sexuelles ne sont pas des impuissants chroniques pour autant. En vieillissant par exemple, la plupart connaissent un allongement du temps de latence entre deux érections. A 25 ans, ce sera quelques minutes. Une demi-heure après 35. Une heure après 45. Une journée après 55. Plusieurs jours après 65. Une semaine après 70 ans. Si, passé la quarantaine, certains s'inquiètent de ne plus se redresser aussitôt, s'ils dépriment devant leur mollesse passagère, ils risquent de développer un blocage psychologique et finissent par se croire impuissants. Mais non, ils vieillissent. Philippe Brenot : "L'érection, ce n'est pas tout ou rien, pas toujours une performance. Ils ne devraient pas s'angoisser autant, car un homme est équipé pour faire l'amour jusqu'à 80 ans et plus. Un vieil homme en forme, désirant, bande encore. Les personnes âgées cessent leur activité sexuelle à cause des maladies, le cœur, les artères, le diabète, le surpoids, pas à cause de leur âge. Or aujourd'hui, même un vieil homme fatigué peut bander s'il est bien traité."
D'autres encore vont se croire impuissants parce qu'ils n'ont pas fait l'amour pendant longtemps et éprouvent des difficultés à recommencer. En fait, disent les médecins, leur faiblesse provient avant tout du manque d'activité. En effet, nous le savons aujourd'hui, une verge fléchit quand elle ne sert pas. Le manque d'entraînement lui est néfaste, elle perd en vigueur. C'est le " syndrome du veuf ", très courant au siècle dernier. Après deux ans d'inactivité, le malheureux éprouve une grande difficulté à bander. Ce n'est pas un manque de désir, mais une affaire de "capacité érectile". Philippe Brenot : "Il y a encore trente ans, un tel homme consultait en vain un psychanalyste ou un psychiatre. Aujourd'hui, avec un accompagnement psychologique et un médicament érectile, il fait l'amour. Les affections sexuelles, de l'impuissance aux “obsessions”, ont été psychiatrisées au XXe siècle. L'impuissance était toujours considérée comme un blocage psychogène. Ce faisant, la dimension physiologique de l'érection a été négligée. Tout a changé dans les années 1960."
2 - Où un chirurgien découvre les vertus érectiles de l'opium
Que se passe-t-il dans les années 1960-1970 ? La guerre du Vietnam. Beaucoup de jeunes soldats américains reviennent au pays paraplégiques, impuissants. Il faut soigner ces héros blessés, souvent mariés. Nous sommes dans les décennies de la révolution des mœurs, les recherches sur la sexualité s'en trouvent libérées. Des médecins, des physiologistes expérimentent des nouveaux traitements. Les résultats restent mitigés. Mais, pour la première fois au XXe siècle, les problèmes d'érection échappent aux psychiatres. L'intérêt se déplace du psychique au physique, du mental au génital. Dans les années 1970, des milliers d'accidentés de la route, des motocyclistes en particulier, se pressent dans les hôpitaux. Des hommes jeunes souvent. Les médecins cherchent à leur rendre leur virilité. Peu à peu, une médecine spécialisée du pénis se met en place autour des urologues : l'andrologie (de andros, homme en grec), l'équivalent masculin de la gynécologie.
En 1980, tout s'accélère avec l'extraordinaire découverte faite par un chirurgien vasculaire, Ronald Virag. Voici l'histoire. Il tentait de soigner un "solide Normand" de 48 ans qui faisait flanelle depuis cinq ans. Tabagique, un taux de cholestérol élevé, peu de sang arrivait dans son membre. Le médecin lui pratique un pontage entre une petite artère abdominale et sa verge, espérant en augmenter le débit sanguin. Mais comme l'artère se contracte, il injecte de la papavérine, un alcaloïde extrait de l'opium, pour dilater les vaisseaux. Aussitôt l'homme entre en érection. Inquiet, Virag ralentit le débit du sang, mais le sexe de son patient reste dressé. Plus de deux heures. Que se passe-t-il ? Laissons Ronald Virag, qui exerce toujours à Paris et a publié depuis un ample ouvrage grand public sur la physiologie du "truc" (Le Sexe de l'homme, Livre de Poche), raconter la suite : "Je me suis demandé si ce n'était pas le produit lui-même qui déclenchait une érection réflexe, et non le sang. Je décidais de m'injecter de la papavérine dans la verge à l'aide d'une fine aiguille, pour vérifier. J'ai connu aussitôt une forte érection. La papavérine agit directement sur le pénis."
Quand en 1982 Ronald Virag publie ses résultats dans le Lancet, l'hebdomadaire médical britannique ("Intracavernous injection of papaverine for erectile failure", The Lancet, 23 octobre 1982), une véritable révolution s'ensuit dans nos conceptions scientifiques sur le fonctionnement du pénis, la sexualité masculine et la manière de traiter les troubles érectiles. L'expérience étant reproductible, des dizaines d'équipes médicales se mettent au travail pour comprendre les mécanismes intimes de l'érection. Ronald Virag se rappelle : "Grâce à ces recherches, nous avons compris le rôle essentiel des muscles lisses, comment le pénis fonctionne sur un mode automatique, comme les autres organes, indépendamment du cerveau supérieur, sous la dépendance d'une biochimie spécifique. Une page était tournée." En effet, si une simple injection "intracaverneuse" d'un produit aussi répandu que l'extrait d'opium suffit à déclencher une érection durable, beaucoup d'hommes considérés comme des impuissants psychogènes incurables, mais encore des diabétiques, des accidentés, des paraplégiques peuvent bander à nouveau. Autre avantage décisif : ils peuvent se traiter eux-mêmes, sans l'aide d'un médecin, et reprendre confiance.
Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'impuissance est vaincue, et de plus les pannes chroniques ou occasionnelles peuvent être traitées. Dans le même temps, une seconde révolution commence, pharmacologique. Grâce aux recherches souvent financées par les grands groupes pharmaceutiques, de nouvelles molécules ciblant la biochimie du pénis sont expérimentées. Un médicament simple, moins inquiétant qu'un produit à injecter, est cherché comme un nouveau Graal – et une nouvelle mine d'or. Au début des années 1990, tout à fait par hasard, le laboratoire pharmaceutique Pfizer découvre les propriétés érectiles inattendues d'un anti-angineux, le sildenafil. En 1998, après des années d'expérimentation, Pfizer met sur le marché le Viagra, le premier médicament oral efficace, sans effet secondaire notable, contre beaucoup de cas d'impuissance et de pannes sexuelles. Il connaît bientôt une demande et une gloire planétaires.
3 - Où l'on pénètre à l'intérieur d'un pénis
Difficile de comprendre pourquoi les hommes débandent, pourquoi l'opium et le Viagra agissent, sans s'intéresser à la physiologie du pénis. Trois cylindres oblongs forment l'intérieur. Dessous, un fuseau élastique, le corps spongieux ; au-dessus, les deux corps caverneux, tous trois riches en capillaires. Ces corps sont constitués d'un muscle lisse, échappant au contrôle conscient, proches de ceux couvrant nos intestins ou l'utérus des femmes. Composés de centaines de milliers d'alvéoles, à la façon d'une éponge, ils sont irrigués par l'"aorte honteuse" (souvenir de l'anatomie du XVIe siècle, sous surveillance de l'Eglise). Ces trois fuseaux extensibles sont enveloppés d'une fibre épaisse d'un bon millimètre, presque ligneuse et multicouche, appelée l'albuginée – du latin albus, blanc– et fait le sexe dur. Au bout de cette tuyère gonflable, la couronne du petit prince, le gland, prolongation du corps spongieux. Cet embout de chair présente une peau fine et diaphane, quadrillée d'un réseau serré, exceptionnel, de nerfs émotifs que chaque homme bénit.
Cette grande éponge s'emplit de sang grâce à un ingénieux système d'écluses vasculaires, gouverné autant par les sensations que par la subjectivité. Quand aucun désir sexuel ne trouble l'homme, le sang n'y entre pas. Un canal de dérivation lui fait éviter l'artère honteuse. Le sang n'irrigue alors que l'enveloppe externe du pénis. C'est l'état chiffe. Flaccide. Comment vient l'érection ? Sa quasi-instantanéité cache l'extrême complexité d'une chorégraphie capricieuse. Tous les physiologistes le disent : anatomiquement, un homme est fabriqué pour bander tout le temps. Cependant, cet homme travaille, dort, mange, marche… Dans ces moments, sa verge pend. Elle n'est pas passive, elle est rétractée. Le système nerveux sympathique qui contrôle ses viscères, ses bronches ou sa vessie, la tient contractée. Mais pas tout seul. "Le mâle humain, explique Marc Galiano, urologue-andrologue de l'Institut Montsouris, est un bandeur inhibé par son système sympathique, mais aussi par son cerveau conscient." Un bébé, par exemple, fait pipi au lit, se masturbe beaucoup, s'abandonne aux plaisirs sans retenue, comme un jeune chien. Le cerveau conscient n'intervient pas. Bientôt ses parents lui apprennent le contrôle de son pénis, la bienséance sociale. Ils lui enseignent à se servir de son néo-cortex. A contenir ses pulsions. C'est, dit Freud, l'éducation du surmoi.
Que se passe-t-il quand le cerveau conscient suspend sa surveillance, suite à une caresse par exemple ? Emus, les nerfs dorsaux de la verge, cheminant dans le périnée, vont activer les centres nerveux de la moelle épinière. Marc Galiano explique la suite : "De là, les influx nerveux chargés d'informations agréables préviennent le cerveau limbique – ou primitif, émotionnel. C'est lui qui déclenche l'érection, sans passer par la conscience. C'est tout l'avantage des “apéritifs amoureux” et des préliminaires." Dans ces moments, le système nerveux dit "parasympathique" envoie des informations qui décrispent la verge contractée. Il lève l'inhibition. A cet instant, la paroi interne des capillaires du pénis libère du monoxyde d'azote, un composé chimique bien connu pour ses propriétés vasodilatatrices. L'éponge pénienne s'allonge aussitôt, son accordéon intérieur s'étire et le sang pénètre les alvéoles des corps érectiles qui se dilatent, faisant gonfler la verge. Ce faisant, les alvéoles gonflées écrasent les veines contre la paroi du pénis, bloquant toute fuite sanguine. La pression augmente dans la verge, ce qui lui donne sa belle rigidité. L'homme bande. Il est en voix.
C'est en inhibant la production de l'enzyme qui dégrade le monoxyde d'azote et provoque la contraction du pénis que le sildenafil ou Viagra – tout comme ses successeurs le Cialis et le Levitra – déclenche sa dilatation. Attention, ne rêvons pas. Une belle érection est fragile et capricieuse, même médicamenteuse. Le désir doit agir. Les hommes ne sont pas des robots. Une parole déplacée, une odeur rédhibitoire, un souvenir dérangeant, un je-ne-sais-quoi, l'érection se défait. Elle est indécidable. Elle s'amorce et s'arrête sans passer par la volonté. Elle est spontanée. Cette irrémédiable toquade de l'érection explique beaucoup des blocages, pannes ou affolements qu'éprouvent certains hommes devant l'exigence d'être ardent. Quand une femme leur intime de les aimer alors qu'ils ne sont pas inspirés, c'est comme si elle criait à un timide : "Ne sois pas peureux !" C'est une sollicitation impossible, un ordre inexécutable, une prière toujours inexaucée. L'homme bande toujours un peu par hasard, dans une certaine ambiance, en liberté.
4 - Où l'on apprend combien la femme reste le grand aphrodisiaque
"J'ai un patient, un homme marié, qui a perdu toute confiance en lui en trois semaines. Un soir une maîtresse d'occasion lui dit : “C'est extraordinaire comme j'ai éprouvé du plaisir avec toi. Pourtant mon mari a un plus gros sexe que le tien.” Cela a suffi. Il n'a entendu que la deuxième partie de la phrase. Il est venu me consulter pour des pannes répétées. Il avait perdu confiance en lui, il y pensait en faisant l'amour, débandait et ensuite craignait que cela ne se répète. C'était le cercle vicieux." Le docteur Marie Chevret-Méasson exerce à Lyon. Psychiatre, spécialiste de l'infertilité, elle a suivi une formation en sexologie et psychosomatique en hôpital. Sans rien dévoiler de ses patients, elle raconte beaucoup d'histoires similaires où des hommes s'enferment dans une spirale de l'échec. "Cela arrive aux plus anxieux. Passé 50 ans, beaucoup d'hommes s'angoissent de ne plus être performants. Pas seulement au lit. Au travail. Face à la concurrence des jeunes, ou même de leurs enfants. C'est l'histoire du père que son fils dépasse au ski. Il arrête le ski. Nous sommes dans une société de compétition, cruelle, qui licencie les seniors. Tout dépend des représentations que chacun se fait de l'âge, s'il accepte de vieillir. Les femmes connaissent les mêmes peurs."
Les femmes jouent un rôle décisif, pour la plupart des hommes, dans ces histoires d'impuissance. Sous Viagra, sans désir, un homme ne bande pas. Les femmes restent le grand aphrodisiaque, comme la source d'angoisse majeure. Nombre des réactions masculines dépendent de la manière dont elles jugent "l'oreille basse". Si beaucoup réagissent avec compréhension, d'autres peuvent la regretter, ou se plaindre. Alors l'homme se sent mal. Aujourd'hui, de nombreuses femmes sont indépendantes financièrement, gagnent parfois plus que les hommes, les concurrencent au travail, imposent de partager les tâches domestiques. Au lit, elles entendent prendre du plaisir, épanouir leur sexualité et parfois, constatent les médecins, développent elles aussi une forme de culte de la performance. Elles veulent que leur vie sexuelle soit réussie, parfaite. Ou encore, désormais libres, elles disent : "J'attends d'avoir envie", ou "Je n'ai pas à me forcer". L'homme doit s'y plier. Or un homme n'est pas toujours prêt, inspiré, au moment désiré. Face à ces fortes femmes, beaucoup d'hommes sont déstabilisés – c'est devenu un cliché d'époque, bien analysé par le sociologue Daniel Welzer-Lang (Nous, les mecs. Essai sur le trouble actuel des hommes, Payot, 2009). Cela se répercute jusque dans les figures de l'érotisme masculin, ses "cartes affectives" comme les appelle le psychologue américain John Money (Lovemaps. Fantasmes sexuels, "cartes" affectives et perversions, Petite bibliothèque Payot, 2009).
Fondés en partie sur l'imagerie de la domination de femmes accueillantes, les grands archétypes du désir mâle se troublent. Alors les hommes débandent. En retour, paradoxe d'époque, les femmes le leur reprochent : comme le constatait Elisabeth Badinter dans Fausse route (Odile Jacob, 2003), un certain archaïsme des rôles, un certain masochisme fait aussi partie du désir sexuel féminin (du moment qu'il se cantonne au lit, dit-elle). Marie Chevret-Méasson : "Toutes ces frictions du désir suscitent des malaises, des débandades. Nous les traitons désormais assez bien en associant une thérapie conjugale avec les médicaments érectiles. Il est important que le couple réfléchisse sur lui-même, sur les désirs de chacun, les réticences. La pénétration n'est pas une fin en soi. Bien souvent, les troubles sexuels viennent d'un manque d'imagination érotique, ou même de sens du jeu. La sexualité est une forme de théâtre, de mise en scène fantasmatique, qui suffit bien souvent à faire monter le désir, quel que soit l'âge."
Aujourd'hui, tous les médecins le disent, nous disposons d'une boîte à outils, tant pharmacologique que psychothérapeutique, permettant de guérir à peu près toutes les défaillances viriles. Certaines résistent malgré tout. Pour les impuissants psychogènes rétifs à tout traitement, de nouvelles prothèses en silicone existent, que le chirurgien glisse sous la peau de la verge, entre les corps caverneux, tandis qu'il loge une petite pompe dans les testicules. J'ai rencontré un homme équipé de ce dispositif. Il s'en trouve satisfait. D'une part, l'objet est invisible. Ensuite, il est facile d'usage. Il permet de faire l'amour longtemps. N'altère aucune sensation. Seul inconvénient, disait-il, sa partenaire ressent la prothèse quand elle lui fait une fellation.
Donnée d'époque, beaucoup de médecins constatent l'influence grandissante du porno dans les troubles sexuels et érectiles des adolescents. Si le cinéma X peut aider un adulte à fantasmer, retrouver les archétypes qui l'enthousiasment, il sert bien souvent d'éducation sexuelle aux garçons de 10 à 18 ans, comme le montre l'enquête récente d'une journaliste de Marie-Claire (Ados : la fin de l'innocence, Géraldine Levasseur, Max Milo, 2009). Pour commencer, le sexe imposant des "hardeurs" traumatise nombre d'entre eux. Ils pensent qu'un tel mandrin donne la norme de la taille. Résultat, les adolescents font des complexes, croient être sous-équipés et ne bandent plus. Beaucoup d'hommes jeunes consultent des andrologues après avoir vu un film porno et demandent à se faire agrandir ou épaissir le sexe. Le pilonnage sexuel des films impressionne aussi beaucoup ces jeunes, qui se croient nuls s'ils ne tambourinent pas leurs copines. Quant aux actrices toutes soumises, rampant aux pieds des hommes, se jetant sur leur pénis, se faisant prendre par plusieurs athlètes bodybuildés en même temps, ils s'étonnent de n'en rencontrer aucune parmi leurs petites amies. La réalité les désillusionne. Alors ils s'accrochent au porno. Et débandent dans la vie. Laissons l'andrologue Marc Galiano, de l'Institut Montsouris, conclure : "Aujourd'hui, après la vague féministe, beaucoup de femmes ne savent plus jouer les courtisanes, donner du plaisir, faire bander les hommes. Quant aux hommes, ils ignorent l'univers de la volupté, des caresses, du tantrisme, savoir se retenir. Certains tombent dans le porno. Il ne suffit pas de leur donner des pilules, il faudrait reprendre toute l'éducation érotique."
Frédéric Joignot
Les mots pour en parler
• Dans le Dictionnaire érotique du linguiste Pierre Guiraud (préfacé par Alain Rey, Payot, 2006), on trouve de savoureuses expressions littéraires, populaires et argotiques pour dire l'impuissance : "mourir au cul de la princesse" , "s'endormir sur le rôti", "rester en affront", "attraper les mouches", "lever le siège", "faire flanelle", "faire Charlemagne", "rester court", "remettre son bonnet", "perdre haleine", "manquer de voix", "être froid de l'article", "mettre les chaussettes à la fenêtre", "marquer six heures", "tricoter", "avoir le pousse-mou", "… l'oreille basse…", " ...la limace…", "la mort dans le dos".
• Dans son journal, Le métier de vivre (Folio), l'écrivain italien Cesare Pavese écrit en 1937 : "C'est le tragique fondamental de la vie, et il vaudrait mieux qu'il ne fût jamais né l'homme qui éjacule trop rapidement. C'est là un défaut qui justifie le suicide." Peu de temps avant de se tuer, le 26 août 1950, il confie dans une lettre : "Puis-je te dire, mon amour, que je ne me suis jamais éveillé avec une femme à mon côté, que les femmes que j'ai aimées ne m'ont jamais pris au sérieux et que j'ignore le regard de reconnaissance qu'une femme comblée adresse à un homme."
• Dans son roman Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable (Folio), Romain Gary donne voix au monologue intérieur d'un homme d'affaires de 59 ans qui devient impuissant, Jacques Rainier.
Les films qui en parlent
• Dans Le Bel Antonio (1960), Mauro Bolognini met en scène Marcello Mastroianni, en jeune Sicilien taciturne qui cache son impuissance. Il épouse Barbara (Claudia Cardinale), mais le couple divorce un an plus tard : le mariage n'a pas été consommé.
• La Débandade, de Claude Berri (1999), raconte l'histoire d'un commissaire-priseur qui multiplie les pannes sexuelles. Inquiet, il consulte des médecins, prend du Viagra. Sa femme, Marie, s'angoisse beaucoup moins que lui et s'adapte à la situation avec humour et gentillesse.
• Dans 1900, de Bernardo Bertolucci (1976), dont la crudité a choqué l'Italie, le vieux propriétaire terrien joué par Burt Lancaster entraîne une paysanne dans une étable. Il lui demande de le toucher, comme elle fait avec les brebis. La fille obtempère, riant, "Mais on ne trait pas les boucs !". Il la repousse, les doigts de la jeune femme n'agissent pas. Il est devenu impuissant. Il lui dit : "Va dire que le maître est mort", et se pend à une poutre.
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