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De quelle couleur est le sexe des hommes noirs? Dans "Si Beale Street pouvait parler" le nouveau film de Barry Jenkins, j’ai été frappée par la manière nouvelle dont il donne à voir la masculinité noire. 951 Isabelle Boni-ClaverieScénariste, réalisatrice et écrivain La virilité des hommes noirs ou, pour dire les choses crûment, ce qu’ils font de leur sexe, est au cœur... PHOTO MISE À DISPOSITION PAR MARS DISTRIBUTION La virilité des hommes noirs ou, pour dire les choses crûment, ce qu’ils font de leur sexe, est au cœur même de leur représentation au cinéma. On évite généralement de le dire de manière aussi explicite. Mais les images sont là, parlantes.  Cela est sans doute plus vrai encore du cinéma américain, né dans une société ségréguée où sévissaient les lois Jim Crow, interdisant toute relation entre Noirs et Blancs. Le film fondateur du cinéma américain, "Naissance d'une Nation", de D.W. Griffith, un chef d'œuvre formel à l'idéologie nauséabonde, prétend ainsi démontrer les conséquences désastreuses de l'émancipation des Noirs en filmant un homme noir qui tente de violer une jeune et belle femme blanche. Pour échapper à son prédateur, celle-ci se donne la mort en sautant du haut d'un rocher. En réalité, l'agresseur est joué par un acteur blanc grimé en Noir – un véritable homme noir ayant probablement été trop anxiogène pour le public de l'époque. Le message n'en est pas moins clair: privé de la férule de l'homme blanc, qui parvenait à contenir ses pulsions, l'ancien esclave noir se révèle dans toute sa bestialité, devenant une menace pour la société. Ce stéréotype, c'est ce que l'historien Africain-Américain Donald Bogle, dans un livre[1] qui aux Etats-Unis fait référence, appelle le Buck, le mâle hypersexué et violent. Son exact opposé est le Tom, le serviteur docile tout entier dévoué à ses maîtres blancs, tels que dépeint initialement dans le roman La Case de l'Oncle Tom, puis dans de nombreux films. Le Tom, bien sûr, est asexué. Cela va de pair avec ses hautes vertus morales, et son respect de l'ordre social. Cela nous montre aussi la dynamique sexuelle à l'œuvre dans la hiérarchie raciale des anciennes sociétés esclavagistes ou coloniales. Pouvoir et virilité ayant été liés ensemble de façon assez primitive, le bon Noir est celui qui se dépossède volontairement des attributs de sa virilité pour exprimer sa soumission non seulement à l'homme blanc mais aussi à la compagne de celui-ci – qu'il s'interdit bien évidemment de convoiter. Souvenez-vous de Sidney Poitier dans "Devine qui vient dîner ?" Il incarnait le fiancé noir d'une jeune femme blanche qui le présentait à ses parents pour leur annoncer qu'ils voulaient se marier. Ceux-ci, d'abord atterrés, finissaient par s'incliner devant les qualités du jeune homme. Le film était à l'époque absolument novateur, sorti quelques mois à peine après que la Cour Suprême des Etats-Unis ait enfin autorisé les mariages mixtes. Nous étions en 1967. Guess who's GUESS WHO'S COMING /DR Guess who's Coming Mais, pour faire accepter aux spectateurs ce qui jusque là avait été un tabou, Sidney Poitier se retrouvait paré de toutes les vertus, à tel point qu'il ressemblait davantage à un saint qu'à un être humain disons normal. Surtout, à aucun moment il n'avait le moindre geste charnel envers sa partenaire blanche. Pas de baiser torride en gros plan comme le cinéma hollywoodien nous y a habitués. Rien. Leur relation était complètement éthérée. Un Noir pouvait désormais être l'époux d'une blanche à l'écran, à une condition: continuer de faire le sacrifice de sa sexualité. Celle-ci devait demeurer hors-champ. Bien trop menaçante sinon. Celui qui a redonné un sexe aux hommes noirs est sans conteste Melvin Van Peebles. Avec "Sweet Sweetback's Baadasssss Song", bien sûr. Et de la façon la plus directe possible, en filmant son pénis en érection. Mais il avait déjà commencé avant, dès son premier long métrage, tourné en France en 1967. Dans "La Permission", un G.I. noir basé en France a une idylle le temps d'un week-end avec une jeune Française blanche et blonde. Leur scène d'amour est longuement filmée. Ainsi que les fantasmes, pleins de clichés, qui les animent tous les deux. Avec beaucoup d'honnêteté, Van Peebles montre combien "les petites Françaises" représentent une aubaine pour un Africain-Américain qui, il y a peu encore, se serait fait lyncher à cause d'une telle relation. Quand en 1971 sort "Sweet Sweetback's Baadasssss Song", filmé en 19 jours sans l'argent des studios, c'est le triomphe. Un nègre marron plein de "swagg" sème une police corrompue, se montre solidaire des Black Panthers, tout en accumulant au long de sa cavale les prouesses sexuelles. Si Donald Bogle voit dans le personnage de Sweetback un avatar contemporain du Buck, pour le public noir de l'époque c'est autre chose. Enfin un héros à la sexualité triomphante qui "nique" le système et revirilise aussi bien pour les hommes que, je suppose, pour les femmes l'image de l'homme noir. Après l'homme émasculé, le surmâle triomphant. Les déclinaisons de ce "badass" seront innombrables pendant la blackexploitation. Elles continuent à mon sens d'enfermer les hommes noirs dans une image de survirilité qui, si elle en flatte beaucoup (vanité, vanité, quand tu nous tiens...), et a pu être transgressive à une époque, s'avère finalement réductrice. Aussi, quand après "Moonlight", j'ai vu le nouveau film de Barry Jenkins, "Si Beale Street pouvait parler"[2], qui sort en salles aujourd'hui, j'ai été frappée par la manière nouvelle dont il donne à voir la masculinité noire. Certes, Denzel Washington devant la caméra et Spike Lee derrière ont proposé de nombreux personnages d'hommes noirs tridimensionnels. Mais je n'ai jamais autant vu que dans les films de Barry Jenkins le cœur des hommes noirs. Ce réalisateur nous montre des hommes pour qui l'amour est chose essentielle. Des hommes sensibles, voire romantiques, virils certes, mais d'une virilité douce, et surtout: des hommes qui osent se montrer dans leur vulnérabilité. Comme il me l'a dit lors de son passage à Paris: "Je ne cherche pas tant à donner une contre-représentation de la masculinité noire qu'à la montrer dans son authenticité. L'innocence, la tendresse dans le cœur et l'âme des hommes noirs, j'ai toujours su que ça existait. Mais, c'est vrai, je ne le vois pas souvent à l'écran." KiKi Layne (Tish) and Stephan James (Fonny star) dans le film de Barry Jenkins PHOTO MISE À DISPOSITION PAR MARS DISTRIBUTION KiKi Layne (Tish) and Stephan James (Fonny star) dans le film de Barry Jenkins "Si Beale Street pouvait parler", Annapurna Pictures release. Barry Jenkins filme les corps. Il y a dans "Si Beale Street pouvait parler" une longue (et belle) scène d'amour. Mais il refuse de ne filmer que cela, considérant que "le corps est un véhicule pour l'âme". Ce qui compte pour lui, c'est d'unir les deux, d'aller gratter au-delà de la façon dont les hommes aiment à se représenter eux-mêmes pour atteindre, sous la surface, leur vérité profonde, quitte à filmer aussi leurs peurs, leurs traumatismes, voire parfois leur violence. Car le problème, me dit-il, "c'est que la masculinité noire, lorsqu'elle s'autorise à se montrer dans son intégralité, est vue comme une menace. Alors on est dans le déni. On refoule cette énergie pour ne pas se faire détruire par le système (il fait allusion aux bavures policières au centre de l'intrigue de Beale Street). Mais il faut bien que cette énergie aille quelque part. Et malheureusement, elle se déchaîne sur les femmes." Ce n'est pas un hasard si Barry Jenkins est un fan absolu de la réalisatrice Claire Denis. Elle est sans doute la première, en France et ailleurs, à avoir filmé un corps d'homme noir sans rien masquer de la violence que cela représente d'être un objet de fantasme sans pouvoir s'y soustraire ou répondre, et de la violence que cela engendre en retour. Il s'agissait de "Chocolat", son premier film. Isaach de Bankolé y incarnait un boy pendant la colonisation, objet de l'attirance de sa maîtresse. A travers sa longue collaboration avec l'acteur antillais Alex Descas, Claire Denis a continué par petites touches à montrer le cœur des hommes. Preuve qu'entre Tom et Butch il existe une troisième voie. Celle de la masculinité vraie. Merci à Yannick Mertens et Afrotöpia d'avoir permis cette rencontre avec Barry Jenkins. ___________________________________________ [1] - Tom, Coons, Mulattoes, Mammies, and Bucks – An Interpretative History of Blacks in American Films (Bloomsbury Academic) [2] - "Si Beale Street pouvait parler", un film de Barry Jenkins, adapté du roman de James Baldwin. Sortie en salle le 30 janvier 2019.

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