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Kathryn Bigelow, la réalisatrice de Detroit, film sur le racisme aux États-Unis, est blanche, et c'est tout sauf un problème En France, on n'a pas de films comme "Detroit" (ou "Selma" ou "Twelve Years a slave") mais "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu?" Isabelle Boni-ClaverieScénariste, réalisatrice et écrivain Kathryn Bigelow, la réalisatrice de Detroit, film sur le racisme aux États-Unis, est blanche, et c'est... MARIO ANZUONI / REUTERS Kathryn Bigelow, la réalisatrice de Detroit, film sur le racisme aux États-Unis, est blanche, et c'est tout sauf un problème. "Detroit", le film de Kathryn Bigelow, sorti en salles mercredi 11 octobre, a fait l'objet aux Etats-Unis d'une intense polémique, liée au phénotype de la réalisatrice.Kathryn Bigelow, la réalisatrice de Detroit, film sur le racisme aux États-Unis, est blanche, et c'est tout sauf un problème En France, on n'a pas de films comme "Detroit" (ou "Selma" ou "Twelve Years a slave") mais "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu?" Isabelle Boni-ClaverieScénariste, réalisatrice et écrivain MARIO ANZUONI / REUTERS Kathryn Bigelow, la réalisatrice de Detroit, film sur le racisme aux États-Unis, est blanche, et c'est tout sauf un problème. "Detroit", le film de Kathryn Bigelow, sorti en salles mercredi 11 octobre, a fait l'objet aux Etats-Unis d'une intense polémique, liée au phénotype de la réalisatrice. Kathryn Bigelow est blanche. Elle est la première femme à avoir reçu l'Oscar du meilleur réalisateur/de la meilleure réalisatrice en 2010. Et elle fait des films de guerre. Pour son dernier film, elle a choisi une zone de guerre particulière, celle qui en 1967, à Detroit, opposa sur fond de discrimination raciale des émeutiers noirs à une police majoritairement blanche. Pendant ces journées et ces nuits d'embrasement social, trois jeunes hommes noirs ayant trouvé refuge à l'Algiers Motel sont tués par des policiers blancs, sept autres battus et humiliés. Mais les policiers, jugés devant un jury exclusivement blancs, seront déclarés non coupables. Outre-Atlantique on a à peu près tout reproché à la réalisatrice. D'être blanche et donc de n'avoir pas la légitimité nécessaire pour traiter d'un fait d'histoire ayant trait à la communauté africaine-américaine. De n'avoir pas assez insisté sur la dimension sociale des évènements de l'Algiers Motel. D'avoir omis certains détails. Ou d'avoir au contraire trop insisté sur la violence des policiers blancs, faisant de cette violence un spectacle qui la dépolitisait. En France, où il ne s'agit pas directement de notre histoire, encore que nous ayons nous aussi notre passif de violences policières à l'encontre de jeunes hommes noirs et arabes, les réactions sont plus mesurées. J'ai tout de même eu la surprise de voir passer sur les réseaux sociaux des critiques dont l'argument principal se résumait à : Kathryn Bigelow est blanche, elle ne peut pas parler correctement de nous. Je suis noire. Je suis réalisatrice et scénariste. A aucun moment, quels que soient ses défauts, je ne me suis sentie offensée par "Detroit". Dire en revanche que "l'histoire des Noirs" devrait ou ne pourrait être racontée que par les Noirs me semble dangereux à deux titres. C'est, tout d'abord, revenir à un essentialisme primaire. Ainsi, les Blancs ne pourraient parler que des Blancs, les Asiatiques des Asiatiques, les Noirs des Noirs, et ainsi de suite ? Mais en quoi être Noir deviendrait-il, en soi, un attribut de légitimité, voire de pertinence? En France, où il n'existe quasiment aucun film sur l'esclavage et la colonisation subssaharienne tant ces sujets demeurent tabous, on a eu droit il y a quelques années au film le plus indigent qui soit sur l'esclavage: "Case Départ", commis par deux acteurs noirs devenus réalisateurs: Fabrice Eboué et Thomas Ngijol, dont j'adore par ailleurs certaines de leurs autres comédies. L'autre écueil, c'est de considérer que l'histoire des discriminations raciales est l'histoire des autres, qu'elle ne concerne pas intimement chacun de nous, quelles que soient notre couleur de peau ou nos origines. La ségrégation raciale aux Etats-Unis est autant l'histoire des Blancs que celles des Noirs. Comme celle de l'esclavage ou de la colonisation en France. Je trouve donc plutôt sain que Kathryn Bigelow qui est blanche se soit sentie interpellée par la persistance des violences de son pays à l'encontre de la minorité noire. Certes, on peut regretter qu'elle ne donne pas aux évènements leur pleine dimension politique. Mais "Detroit" a d'autres mérites. Il nous épargne les sanglots de la culpabilité blanche, ainsi que le complexe du "sauveur blanc" qui inondent tant de films sur les Noirs faits par des Blancs. Il explore la dimension machiste du racisme des policiers à l'origine des meurtres – il y avait deux femmes blanches cette nuit là avec ces hommes noirs. Il n'hésite pas à nous montrer l'ambivalence du statut de ces femmes. Méprisées par les policiers pour leur promiscuité avec des Noirs, guère à l'abri de violences sexistes parce que femmes, mais in fine mieux traitées parce que blanches. Elles-mêmes ne semblent pas conscientes qu'elles jouissent, du fait du privilège de leur peau, d'une liberté de parole dont ne dispose pas leurs compagnons noirs. Est-ce cela, au fond, qui est reproché à Kathryn Bigelow? Ses privilèges de femme blanche éduquée de la classe moyenne, ainsi que l'a pointé le magazine Variety? Le vrai problème, ce n'est pas la couleur de Kathryn Bigelow, c'est pourquoi, aujourd'hui encore, il est si difficile pour les réalisateurs et les réalisatrices noir(e)s d'avoir la possibilité de raconter leurs histoires. Et comme on aime bien en France pointer du doigt les dysfonctionnements de la société américaine pour mieux mettre les nôtres sous le tapis, permettez-moi de relocaliser la discussion ici, dans l'hexagone. En France, on n'a pas de films comme "Detroit" (ou "Selma" ou "Twelve Years a slave") mais "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu?", à croire que le racisme soit un sujet trop sérieux pour être traité autrement que par la pantalonnade. On a eu aussi, dans un tout autre genre, "Bande de filles". Dans ce film sorti en 2014, Céline Sciamma suit l'émancipation d'une jeune fille noire de banlieue à travers sa bande de copines – toutes noires. La critique a été dithyrambique, soulignant que le film donnait enfin à voir des filles d'ordinaire invisibilisées. A l'inverse, gros énervement du côté des spectateurs et des spectatrices noires qui ont trouvé qu'il s'agissait d'un ramassis de clichés, à la fois sur les Noirs et sur la banlieue, de la part d'une réalisatrice qui se contentait de transposer ses fantasmes de petite bourgeoise blanche sur une réalité qu'elle connaissait pas. Personnellement, je n'ai jamais vu dans "Bandes de filles" que l'expression subjective du désir et de la fascination d'une réalisatrice blanche pour des jeunes filles noires. Dans une histoire du cinéma dominée par l'expression du désir masculin, cette proposition était suffisamment neuve et bien filmée pour m'intéresser. Mais les médias ont voulu faire de ce film, LE film sur "les filles de banlieue", celui qui allait nous montrer qui elles sont, lui conférant de facto une forme d'autorité qu'il n'avait pas lieu d'avoir. C'est cela qui a été insupportable pour les spectatrices et les spectateurs dont on prétendait raconter le vécu quand eux-mêmes ont tant de mal à se faire entendre dans l'espace social. En France, au nom de l'universalisme, on trouve normal de parler des autres, de filmer les autres, sans se rendre compte que ce sont presque toujours exclusivement les Blancs qui parlent et qui filment. Ils le font d'ailleurs la plupart du temps sans même questionner d'où ils s'expriment, ni comment leur parole sera reçue par ceux dont ils parlent. En 2015, j'ai réalisé pour la télé un documentaire sur le racisme qui s'appelait "Trop Noire pour être Française". Entre autres choses, j'y interrogeais plusieurs chercheurs comme Achille Mbembe, Pap Ndiaye... et le sociologue Eric Fassin. Celui-ci a expliqué plus tard dans une interview qu'il avait pris la peine, avant d'accepter ma proposition, de vérifier que seraient filmés aussi des chercheurs noirs. Il ne voulait pas endosser la position du sachant blanc qui parle de l'expérience noire. Combien de réalisateurs et de réalisatrices français font-ils preuve de cette humilité préalable? Une humilité que je peux, quoi qu'on en dise, percevoir dans le film de Khatryn Bigelow. Comme j'ai toujours senti dans les films de Claire Denis, qui m'ont aidée quand j'avais 20 ans à me construire en tant que personne noire, la conscience de l'endroit à partir duquel on parle de l'autre. Etrangement, ces deux données ont presque toujours fait défaut chez les producteurs et les financeurs du cinéma français avec qui j'ai été amenée à discuter de mes projets de films pour le grand écran. Eux savaient ce qu'il fallait dire sur les Noirs. Et comment. Voire de quel type de Noirs il fallait parler. Cela ne correspondait pas à ce que moi j'avais envie de dire? Qu'importe, ils avaient le pouvoir et pas moi. Ils savaient, tandis que je n'étais, après tout, qu'une jeune réalisatrice inconnue. Et puis – ce n'est pas le sujet de cette tribune, mais d'Angot à Rousseau en passant par Harvey Weinstein ou le hashtag Balancetonporc, c'est d'actualité –, certains m'ont aussi fait comprendre que cela aiderait que j'accepte de coucher avec eux. Je n'ai pas couché. Je n'ai pas fait non plus de films pour le cinéma. La plupart de mes amis réalisateurs noirs n'ont pas eu la possibilité de faire les films qu'ils souhaitaient. Ce n'est pourtant pas faute de talent. Certains, quand ils avaient des origines africaines, sont partis poursuivre en Afrique la carrière qu'on leur refusait ici. Beaucoup ont fini par arrêter de faire des films. Les nouveaux qui arrivent luttent pied à pied pour financer leurs projets, s'autoproduisent ou font appel au crowdfunding. Vous me direz qu'il est également difficile pour un réalisateur blanc de trouver l'argent nécessaire à la production de ses films. Certes. Mais de nouveaux visages émergent régulièrement. Il a fallu, en revanche, attendre 33 ans pour qu'à la suite d'Euzhan Palcy en 1984, deux jeunes réalisatrices noires soient récemment distinguées aux César. Voilà où nous en sommes en 2017. Alors, que toutes les Kathryn Bigelow de France fassent tous les films qu'elles veulent sur les Noir(e)s, les Arabes, les Asiatiques. Mais qu'on permette aussi aux réalisatrices et aux réalisateurs issus de ces minorités de porter leurs récits à l'écran, y compris quand ils ne correspondent pas aux représentations que l'on voudrait avoir sur ces minorités. Y compris, aussi, lorsque ces réalisateurs choisissent de ne pas parler d'eux mais des Blancs, car il ne saurait y avoir d'altérité vraie que dans les deux sens. Isabelle Boni-Claverie est réalisatrice et scénariste. A la suite de son documentaire diffusé sur ARTE, elle vient de publier aux Editions Tallandier un récit autobiographique également intitulé «Trop Noire pour être française" Kathryn Bigelow est blanche. Elle est la première femme à avoir reçu l'Oscar du meilleur réalisateur/de la meilleure réalisatrice en 2010. Et elle fait des films de guerre. Pour son dernier film, elle a choisi une zone de guerre particulière, celle qui en 1967, à Detroit, opposa sur fond de discrimination raciale des émeutiers noirs à une police majoritairement blanche. Pendant ces journées et ces nuits d'embrasement social, trois jeunes hommes noirs ayant trouvé refuge à l'Algiers Motel sont tués par des policiers blancs, sept autres battus et humiliés. Mais les policiers, jugés devant un jury exclusivement blancs, seront déclarés non coupables. Outre-Atlantique on a à peu près tout reproché à la réalisatrice. D'être blanche et donc de n'avoir pas la légitimité nécessaire pour traiter d'un fait d'histoire ayant trait à la communauté africaine-américaine. De n'avoir pas assez insisté sur la dimension sociale des évènements de l'Algiers Motel. D'avoir omis certains détails. Ou d'avoir au contraire trop insisté sur la violence des policiers blancs, faisant de cette violence un spectacle qui la dépolitisait. En France, où il ne s'agit pas directement de notre histoire, encore que nous ayons nous aussi notre passif de violences policières à l'encontre de jeunes hommes noirs et arabes, les réactions sont plus mesurées. J'ai tout de même eu la surprise de voir passer sur les réseaux sociaux des critiques dont l'argument principal se résumait à : Kathryn Bigelow est blanche, elle ne peut pas parler correctement de nous. Je suis noire. Je suis réalisatrice et scénariste. A aucun moment, quels que soient ses défauts, je ne me suis sentie offensée par "Detroit". Dire en revanche que "l'histoire des Noirs" devrait ou ne pourrait être racontée que par les Noirs me semble dangereux à deux titres. C'est, tout d'abord, revenir à un essentialisme primaire. Ainsi, les Blancs ne pourraient parler que des Blancs, les Asiatiques des Asiatiques, les Noirs des Noirs, et ainsi de suite ? Mais en quoi être Noir deviendrait-il, en soi, un attribut de légitimité, voire de pertinence? En France, où il n'existe quasiment aucun film sur l'esclavage et la colonisation subssaharienne tant ces sujets demeurent tabous, on a eu droit il y a quelques années au film le plus indigent qui soit sur l'esclavage: "Case Départ", commis par deux acteurs noirs devenus réalisateurs: Fabrice Eboué et Thomas Ngijol, dont j'adore par ailleurs certaines de leurs autres comédies. L'autre écueil, c'est de considérer que l'histoire des discriminations raciales est l'histoire des autres, qu'elle ne concerne pas intimement chacun de nous, quelles que soient notre couleur de peau ou nos origines. La ségrégation raciale aux Etats-Unis est autant l'histoire des Blancs que celles des Noirs. Comme celle de l'esclavage ou de la colonisation en France. Je trouve donc plutôt sain que Kathryn Bigelow qui est blanche se soit sentie interpellée par la persistance des violences de son pays à l'encontre de la minorité noire. Certes, on peut regretter qu'elle ne donne pas aux évènements leur pleine dimension politique. Mais "Detroit" a d'autres mérites. Il nous épargne les sanglots de la culpabilité blanche, ainsi que le complexe du "sauveur blanc" qui inondent tant de films sur les Noirs faits par des Blancs. Il explore la dimension machiste du racisme des policiers à l'origine des meurtres – il y avait deux femmes blanches cette nuit là avec ces hommes noirs. Il n'hésite pas à nous montrer l'ambivalence du statut de ces femmes. Méprisées par les policiers pour leur promiscuité avec des Noirs, guère à l'abri de violences sexistes parce que femmes, mais in fine mieux traitées parce que blanches. Elles-mêmes ne semblent pas conscientes qu'elles jouissent, du fait du privilège de leur peau, d'une liberté de parole dont ne dispose pas leurs compagnons noirs. Est-ce cela, au fond, qui est reproché à Kathryn Bigelow? Ses privilèges de femme blanche éduquée de la classe moyenne, ainsi que l'a pointé le magazine Variety? Le vrai problème, ce n'est pas la couleur de Kathryn Bigelow, c'est pourquoi, aujourd'hui encore, il est si difficile pour les réalisateurs et les réalisatrices noir(e)s d'avoir la possibilité de raconter leurs histoires. Et comme on aime bien en France pointer du doigt les dysfonctionnements de la société américaine pour mieux mettre les nôtres sous le tapis, permettez-moi de relocaliser la discussion ici, dans l'hexagone. En France, on n'a pas de films comme "Detroit" (ou "Selma" ou "Twelve Years a slave") mais "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu?", à croire que le racisme soit un sujet trop sérieux pour être traité autrement que par la pantalonnade. On a eu aussi, dans un tout autre genre, "Bande de filles". Dans ce film sorti en 2014, Céline Sciamma suit l'émancipation d'une jeune fille noire de banlieue à travers sa bande de copines – toutes noires. La critique a été dithyrambique, soulignant que le film donnait enfin à voir des filles d'ordinaire invisibilisées. A l'inverse, gros énervement du côté des spectateurs et des spectatrices noires qui ont trouvé qu'il s'agissait d'un ramassis de clichés, à la fois sur les Noirs et sur la banlieue, de la part d'une réalisatrice qui se contentait de transposer ses fantasmes de petite bourgeoise blanche sur une réalité qu'elle connaissait pas. Personnellement, je n'ai jamais vu dans "Bandes de filles" que l'expression subjective du désir et de la fascination d'une réalisatrice blanche pour des jeunes filles noires. Dans une histoire du cinéma dominée par l'expression du désir masculin, cette proposition était suffisamment neuve et bien filmée pour m'intéresser. Mais les médias ont voulu faire de ce film, LE film sur "les filles de banlieue", celui qui allait nous montrer qui elles sont, lui conférant de facto une forme d'autorité qu'il n'avait pas lieu d'avoir. C'est cela qui a été insupportable pour les spectatrices et les spectateurs dont on prétendait raconter le vécu quand eux-mêmes ont tant de mal à se faire entendre dans l'espace social. En France, au nom de l'universalisme, on trouve normal de parler des autres, de filmer les autres, sans se rendre compte que ce sont presque toujours exclusivement les Blancs qui parlent et qui filment. Ils le font d'ailleurs la plupart du temps sans même questionner d'où ils s'expriment, ni comment leur parole sera reçue par ceux dont ils parlent. En 2015, j'ai réalisé pour la télé un documentaire sur le racisme qui s'appelait "Trop Noire pour être Française". Entre autres choses, j'y interrogeais plusieurs chercheurs comme Achille Mbembe, Pap Ndiaye... et le sociologue Eric Fassin. Celui-ci a expliqué plus tard dans une interview qu'il avait pris la peine, avant d'accepter ma proposition, de vérifier que seraient filmés aussi des chercheurs noirs. Il ne voulait pas endosser la position du sachant blanc qui parle de l'expérience noire. Combien de réalisateurs et de réalisatrices français font-ils preuve de cette humilité préalable? Une humilité que je peux, quoi qu'on en dise, percevoir dans le film de Khatryn Bigelow. Comme j'ai toujours senti dans les films de Claire Denis, qui m'ont aidée quand j'avais 20 ans à me construire en tant que personne noire, la conscience de l'endroit à partir duquel on parle de l'autre. Etrangement, ces deux données ont presque toujours fait défaut chez les producteurs et les financeurs du cinéma français avec qui j'ai été amenée à discuter de mes projets de films pour le grand écran. Eux savaient ce qu'il fallait dire sur les Noirs. Et comment. Voire de quel type de Noirs il fallait parler. Cela ne correspondait pas à ce que moi j'avais envie de dire? Qu'importe, ils avaient le pouvoir et pas moi. Ils savaient, tandis que je n'étais, après tout, qu'une jeune réalisatrice inconnue. Et puis – ce n'est pas le sujet de cette tribune, mais d'Angot à Rousseau en passant par Harvey Weinstein ou le hashtag Balancetonporc, c'est d'actualité –, certains m'ont aussi fait comprendre que cela aiderait que j'accepte de coucher avec eux. Je n'ai pas couché. Je n'ai pas fait non plus de films pour le cinéma. La plupart de mes amis réalisateurs noirs n'ont pas eu la possibilité de faire les films qu'ils souhaitaient. Ce n'est pourtant pas faute de talent. Certains, quand ils avaient des origines africaines, sont partis poursuivre en Afrique la carrière qu'on leur refusait ici. Beaucoup ont fini par arrêter de faire des films. Les nouveaux qui arrivent luttent pied à pied pour financer leurs projets, s'autoproduisent ou font appel au crowdfunding. Vous me direz qu'il est également difficile pour un réalisateur blanc de trouver l'argent nécessaire à la production de ses films. Certes. Mais de nouveaux visages émergent régulièrement. Il a fallu, en revanche, attendre 33 ans pour qu'à la suite d'Euzhan Palcy en 1984, deux jeunes réalisatrices noires soient récemment distinguées aux César. Voilà où nous en sommes en 2017. Alors, que toutes les Kathryn Bigelow de France fassent tous les films qu'elles veulent sur les Noir(e)s, les Arabes, les Asiatiques. Mais qu'on permette aussi aux réalisatrices et aux réalisateurs issus de ces minorités de porter leurs récits à l'écran, y compris quand ils ne correspondent pas aux représentations que l'on voudrait avoir sur ces minorités. Y compris, aussi, lorsque ces réalisateurs choisissent de ne pas parler d'eux mais des Blancs, car il ne saurait y avoir d'altérité vraie que dans les deux sens. Isabelle Boni-Claverie est réalisatrice et scénariste. A la suite de son documentaire diffusé sur ARTE, elle vient de publier aux Editions Tallandier un récit autobiographique également intitulé «Trop Noire pour être française"

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